Cinélégende

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mémoire perturbée

mardi 17 avril, 20h15 : Film
9 mois ferme (France, 82 min.) de Albert Dupontel, avec présentation et débat en présence de Louis Mathieu et du Dr Damien Mauillon, médecin addictologue 

Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers

Tarifs habituels aux 400 Coups : 8 €, réduit 6,50 €, carnets 5,30 € ou 4,70 €, moins de 26 ans 5,90 €, moins de 14 ans 4 € - tarif groupe, les matins  également, sur réservation (02 41 88 70 95) : 3,80 €

jeudi 19 avril, 18h30 : Conférence
Les méandres de la mémoire, par Geoffrey Ratouis,docteur en histoire

Nos souvenirs recouvrent-ils la réalité ou sont-ils seulement une reconstruction de notre passé ? Mensonges, négations, oublis, déformations et omissions font de notre mémoire un labyrinthe duquel il est difficile de sortir pour en avoir une vue d'ensemble. Oscillant entre amnésie et hypermnésie, notre mémoire nous emmène dans ses méandres à la recherche de ce que nous avons été pour savoir qui nous sommes.
Institut Municipal, place Saint-Eloi, Angers
Gratuit

vendredi 20 avril, 20h à 22h : Atelier d'écriture 
La petite madeleine de Proust, avec Véronique Vary de l'association Passez-moi l'expression !

La mémoire est capricieuse. Elle n'en fait qu'à sa tête. Venez croquer dans la petite madeleine comme dans le roman de Marcel Proust et vous exercer à l'écriture du souvenir culinaire. Les cornichons ou le pot de rillettes feront aussi bien l'affaire si vous voulez...
La Marge, 7 rue de Frémur, Angers 
Ouvert à tous : novices ou plus expérimentés
40 euros le cycle / 12 euros l'atelier
Renseignements et réservations : 02 41 86 70 80 -
varyveronique@hotmail.com

vendredi 27 avril, 13h30 : Film
Lettre à Momo (Japon, 120 min.) de Hiroyuki Okiura

Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
à partir de 7 ans
Tarifs habituels aux 400 Coups : 8 €, réduit 6,50 €, carnets 5,30 € ou 4,70 €, moins de 26 ans 5,90 €, moins de 14 ans 4 € - tarif groupe, les matins  également, sur réservation (02 41 88 70 95) : 3,80 €

vendredi 27 avril, 18h30 : Soirée-contes voir l'affiche
Fleur d'oubli, avec Sylvie de Berg

Oublier, puis se souvenir... Où sont-elles en allées nos mémoires envolées ? Qui dévoilera le miroir de l'apparence traversée ? Tenterons-nous l'aventure d'être, au risque du présent, dans la paix du passé ?
Des Contes de partout, pour clore, en rêve et en rire, le cycle de la Mort.

Same Same, 13 rue de la Roë, Angers
à partir de 10 ans
prix des consommations + participation au chapeau
réservations : 02 41 86 70 80

et également:

vendredi 20 avril, 18h30 : Visite-découverte de la scénographie du Mystère des Faluns à Doué-en-Anjou, avec une grande nouveauté à découvrir.
À travers une promenade scénographique souterraine, le visiteur est transporté dans l'univers sous-marin présent à Doué-en-Anjou il y a 10 millions d'années : un fabuleux voyage entre terre et mer, passé et présent, rêve et science, avec une grande nouveauté à découvrir cette année.

suivie d'un grignotage et de la projection du film d'animation :
Le Jour des corneilles (France, 96 min.) de Jean-Christophe Dessaint.

Un jeune garçon grandit dans la forêt en petit sauvage auprès de son père qui le maintient dans l'ignorance du monde des hommes. Ses seuls compagnons sont de muets fantômes qui, sous forme animale, communiquent avec lui par signes. Il s'aventure un jour dans un village où il rencontre Manon.
Le Mystère des Faluns, 7, rue d'Anjou, Doué-en-Anjou: Le site des Perrières
à partir de 7 ans
Entrée : 10 € (12-18 ans : 9.00€, 5-11 ans : 7.50€)  Réservations : 02 41 59 71 29 - l.aubineau@doue-en-anjou.fr>

Commentaires

Textes de Philippe Parrain

Lorsqu'en Grèce les morts étaient sur le point de quitter les Enfers afin de revenir à la vie, ils traversaient le fleuve Léthé dont ils devaient boire l'eau. C'est ainsi qu'ils trouvaient l'oubli de leur existence antérieure, et surtout qu'ils pouvaient se définir une nouvelle identité.

L'amnésie et la reconstitution d'une personnalité perpétuent ce mythe ; elles constituent une inépuisable source d'inspiration pour les scénaristes. Mais le fait de perdre la mémoire ou de la voir s'altérer est plus troublant lorsqu'il se produit dans notre environnement quotidien. Quoi de plus insaisissable, de plus malléable que la mémoire ? Les souvenirs, quand ils ne sont pas refoulés, vont et viennent, et on les voit se modifier avec le temps. Les émotions se mêlent volontiers à eux pour engendrer d'étranges chimères.

Il semble difficile, voire impossible, de localiser précisément les souvenirs, et surtout de distinguer sous quelle forme ils s'impriment dans le cerveau. En quoi s'y distinguent-ils matériellement des rêves ou des fantasmes ? Le cinéma inscrit les uns et les autres dans le même registre, sur le même support.

La psychologue Elisabeth Loftus, qui s'est longuement interrogée sur les faux souvenirs, parle d'un "pot-pourri de faits, de fantasmes, de déformations et d'affabulations" à travers lesquels toute recherche de vérité peut se révéler illusoire.

9 mois ferme

"S'inspirant" du documentaire de Raymond Depardon 10ème chambre - Instants d'audience (2003), Dupontel a développé pour ce film une situation invraisemblable. Mais, en confiant le rôle de la présidente du tribunal à Michelle Bernard-Requin, laquelle officiait personnellement à la 10ème chambre, il s'est en quelque sorte assuré d'une certaine caution judiciaire.

Cinélégende pour une fois propose une comédie qui permet de ressortir de la salle le sourire aux lèvres. Dupontel, renonçant à l'aspect outrancier de certains de ses films, sait ici allier avec bonheur un humour subtil avec des situations délirantes et même quelques séquences gores parodiques. Il rejoint par là l'art d'un Blake Edwards en imaginant, comme dans les grandes comédies américaines, un couple improbable.

9 mois ferme s'affirme comme un film de qualité, bourré d'idées visuelles. Débutant par un plan-séquence virtuose, le long-métrage impose immédiatement la signature d'un réalisateur toujours préoccupé par l'image. Les acteurs y composent des personnages hauts en couleur, et Sandrine Kiberlain y a bien mérité le César de la meilleure actrice. En prime, Dupontel trahit ses affinités en s'amusant à confier de petits rôles à des complices comme Jean Dujardin, Bouli Lanners, Yolande Moreau ou Terry Gilliam dans le rôle du monstre.

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Lettre à Momo

Deuxième film d'Okiura, après Jin-Roh, la brigade des loups (1999), Lettre à Momo est le fruit de sept années de gestation. Le réalisateur s'y est pleinement exprimé. L'animation y est traditionnelle, presque entièrement réalisée à la main. Il s'agit là de son premier scénario original : alors qu'il avait insisté pour glisser, dans le scénario qu'Oshii lui avait soumis pour Jin-Roh, une histoire d'amour, laquelle paraphrasait le conte du Petit Chaperon rouge, il donne ici libre cours à sa sensibilité pour nous plonger dans le monde des légendes.

L'écriture d'Okiura est bien différente de celle de Miyazaki, mais lui aussi puise dans le formidable vivier des légendes, monstres et merveilles qui enrichit l'imaginaire japonais et qui caractérise la religion shinto, fondée sur un certain animisme : les éléments naturels et les êtres vivants sont environnés d'une foule d'esprits, invisibles à nos yeux d'Occidentaux, mais très présents dans les traditions et la vie quotidienne des Japonais.

C'est ainsi que le film met en scène des Yokaïs, sortes de monstres qui, sans vraiment appartenir à notre monde, s'imposent d'une façon très concrète, voire triviale. À la fois fantômes et anges gardiens, ils peuvent prendre les formes les plus diverses. Ils ont fait l'objet d'une multitude de représentations dans des livres illustrés ou au sein des temples. Ils apparaissent aujourd'hui comme protagonistes de jeux et sont mis à contribution en tant que pôles d'attraction touristique pour redynamiser certaines régions.

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thèmes mytho-légendaires des films

Les troubles de la mémoire sont toujours stressants, mais tous ne présentent pas forcément la même gravité. Ils peuvent simplement servir à échapper à une certaine réalité déplaisante, ou bien à se libérer du harcèlement d’un souvenir trop pénible. Et, tandis qu’Ariane, dans 9 mois ferme, s’étourdit pour s’oublier elle-même, avant d’oublier aussi ce moment d’égarement, Momo ne parvient pas à s’arracher au souvenir de l’incident qui la tourmente. Toutes deux sont invitées à effectuer le parcours qui leur permettra de se retrouver elles-mêmes, et cela les entraînera vers d’étranges rivages.

Elle versa dans le vin qu'ils buvaient un baume, le Nèpenthès, qui donne l'oubli des maux.

Elle versa dans le vin qu'ils buvaient un baume, le Nèpenthès, qui donne l'oubli des maux.
Homère, Odyssée, chant IV

Ariane est condamnée au célibat et prisonnière des 20 m2 de son bureau, dans les combles du Palais de justice. Rivée à son travail de forçat, elle assume vaillamment sa condition et fait même du zèle. Mais elle ne peut cacher une certaine insatisfaction. Tandis qu’en bas, les tréfonds du Palais sont livrés à un déchaînement endiablé qui outrage la dignité et la solennité attendues en ces lieux. Il est certain que c’est une Justice aux yeux bandés qui a précipité dans ces enfers, tous ces joyeux débauchés : des Enfers joyeux à la Offenbach, évidemment. Et voici qu’un ballon messager, précédant une bande de diablotins tentateurs, vient quérir Ariane pour l’arracher à sa vie laborieuse et à son petit réduit, et pour la projeter elle aussi dans la fournaise. Le nectar qu’on lui fait boire alors ne saurait être celui des dieux, sinon de Dionysos. C’est en fait une boisson semblable à celle que Circé fait boire à Ulysse avant qu’elle ne lui indique le chemin qui mène aux Enfers : ce même breuvage que ses compagnons boivent avec avidité au point de s’oublier et de se voir transformés en porcs se jetant voracement sur la nourriture.

La chute d’Ariane vers sa damnation - sa descente des marches du Palais - se fait sous l’œil d’un vigile que matérialise l’image d’une caméra de télésurveillance, une sorte de Cerbère qui observe (et enregistre minutieusement) son passage vers des zones insoupçonnées. Elle perd alors tous ses repères. Tels Lancelot et Tristan lorsqu’ils sombrent dans la folie, elle plonge dans l’oubli total de son apparente identité, libère sa libido et révèle, sans qu’elle en ait conscience, une part substantielle de son intimité. Robert Harrison (Forêts, essai sur l’imaginaire occidental) décrit cette régression, passagère mais nécessaire, à l’état sauvage comme un "regressus ad uterum", un "retour à l’utérus" : « Tout se passe comme si les champions chevaleresques de l’ordre social [les juges, les gens du palais] devaient se perdre périodiquement dans la nature extérieure [se défouler, s’arracher au bureau, descendre dans la rue, rejoindre les quartiers mal famés…] pour retrouver leur intériorité, afin de ressourcer leur vocation de défenseurs de l’ordre social. »

Ariane face au miroir
Ainsi Ariane, comme les chevaliers autrefois, peut se régénérer et, en redevenant saine d’esprit, se montrer capable d’affronter les situations. Elle en prend conscience lorsque, ressentant les premiers effets de sa nouvelle condition, elle se retrouve face à elle-même et se découvre de l’autre côté du miroir. Il faut considérer ce scénario comme une « aventure comique dans la mesure où elle renverse l’ordre du monde pour mieux le rétablir », nous dit encore Harrison : « la comédie est le retour à la normale de l’ordre des choses et de la loi… »

La traversée du Léthé

Je viens chercher vivant le calme du Léthé ;
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie ;
L'oubli seul désormais est ma félicité.
Lamartine, Méditations poétiques, Le Vallon

Momo et sa mère approchant de l'île
Si Ariane n’a gardé aucun souvenir de ce qui lui est arrivé en sa folle nuit, Momo se rappelle trop bien les derniers mots qu’elle a échangés avec son père : un moment douloureux dont elle conserve la trace au fond d’elle-même et qui l’empêche de s’épanouir. Sa mère, elle aussi, aspire à dépasser son deuil et à reprendre pied dans la vie. Toutes deux ont besoin d’oublier. Dès le début du film, la fillette se trouve sur un bateau ; sa mère la rejoint, lui tend une bouteille et lui vante les vertus de ce nouveau rivage où elles vont bientôt accoster et qui devrait leur apporter l’oubli. Mais Momo ne boit pas la boisson apportée par sa mère. Belle illustration du mythe de la traversée du Léthé, qui, selon Homère, « baigne en paix ces rives bocagères » : ce fleuve que les âmes des morts, revenant des Enfers et se destinant à être réincarnées sur terre, doivent franchir, et dont elles doivent boire l’eau afin d’oublier ce qu’elles ont vécu.

Momo, une fois arrivée, se décide à boire
Tel est du moins le souhait de la mère de Momo qui se réjouit de retrouver ces lieux paradisiaques qui ont bercé son enfance, loin de l’enfer de la grande ville. Sa fille par contre interroge le ciel et relit encore et encore cette lettre, ces trois kanas que son père a commencé de lui écrire et qu’elle s’efforce vainement de déchiffrer. Ce ne sera qu’une fois arrivée et chaleureusement accueillie qu’elle acceptera de boire. Mais il lui faudra toute la longueur du film, et la réponse apportée par le petit bateau de paille enluminé, porteur d’âme, pour sauter le pas…

Sa mère devra, elle aussi, affronter la réalité, renoncer aux soi-disant "vertus" de l’oubli, ou du moins d’un oubli mal assumé. Car il ne suffit pas de changer de décor, de déménager dans un lieu euphorisant pour tromper le souvenir et se retrouver soi-même. Elle s’en rend compte lorsque Momo lui fait remarquer que « depuis la mort de papa, tu n’es plus la même qu’avant », révélation qui réveille son asthme.

Transaction avec les Yokaïs
Au début, Momo, au lieu d’être aidée par sa mère, se retrouve seule face à elle-même et à son souvenir qui semble prendre corps en la personne des yokaïs qui vont, pour ce parcours, l’accompagner en incarnant ses humeurs successives. Ils ne sont d’abord que des ombres qui la poursuivent dans le labyrinthe des rues, et qui, en dévoilant son intériorité, ne manquent pas de la paniquer. L’ombre est en effet la partie sombre, non éclairée, cachée, et donc inquiétante d’un objet. Elle est en même temps sa projection au-delà de lui-même. Pline explique comment la peinture fut inventée : la fille d’un potier, voulant conserver une trace de son amant, en dessina l'ombre projetée sur un mur par la lueur d'une lanterne. C’est ainsi que les yokaïs, venus du Pays des ombres et échappés d’un livre d’estampes, représentent en même temps la fuyante matérialisation des sentiments de Momo.

Les bas-fonds du Palais de justice
Tandis que c’est en montant au grenier que celle-ci découvre la présence des yokaïs dont elle va faire ses compagnons, c’est en descendant qu’Ariane se rend dans les soubassements du Palais de justice, pour ainsi dire aux enfers, pour observer le redoutable Bob qui, lui aussi, a été mis "à l’ombre".

le fil d'Ariane

Il n'y a qu'un seul moyen pour tuer les monstres : les accepter.
Julio Cortázar, Los Reyes

La Justice aux yeux bandés
Effarée d’être tombée dans un trou de mémoire, l’héroïne de 9 mois ferme doit entreprendre un long parcours pour en sortir : démêler l’écheveau de son existence, suivre le fil d’une intrigue labyrinthique. Ce n’est pas par hasard si elle s’appelle Ariane. Elle sait, par sa pratique professionnelle, à quel point la réalité peut, malgré les apparences, être sujette à caution : pourquoi ne serait-ce pas un fâcheux concours de circonstances si un visage est venu se heurter contre un poing qui se trouvait malencontreusement là ? Assurément la justice aux yeux bandés est parfois aveugle, … et passablement dévergondée aussi ! Et après tout si l’accusé, que tout accuse, n’était finalement pas coupable ? Et si l’on n’était pas soi-même aussi innocent(e) qu’on veut bien se le dire ? Il faut se frayer un chemin, avancer et revenir sur ses pas, et peu à peu, pour Ariane tout autant que pour Bob, procéder à une laborieuse reconstitution des faits.

Bob, le monstre
Comme pour Énée traversant le Tartare, le trajet est ardu et jonché de visions horrifiques. Il semble, depuis la dissection sur la table d’autopsie jusqu’aux reconstitutions fantasmées du crime, vouloir, sur un ton fantaisiste certes, flirter avec les atrocités d’un film gore. Et très logiquement sa quête va conduire Ariane jusqu’au cœur du labyrinthe, là où se tapit le monstre : une créature anthropophage qui déchiquète ses victimes et en dévore les yeux ! Tandis que ce sont d’horribles personnages, toujours affamés, qui poursuivent Momo dans le dédale des ruelles et contre lesquels elle entreprend d’abord de lutter.

Mais, à partir du moment où l'on se retrouve face à face avec le monstre, la confrontation peut devenir apaisée. Celui-ci devient familier et peut même se montrer amical et prévenant, apporter le petit déjeuner au lit ou jouer les facteurs pour porter des courriers dans l’au-delà. Ariane en arrive à prendre fait et cause pour le présumé coupable, et Momo entre dans le jeu de ses nouveaux compagnons qui en fait, délégués par son père, ne sont là que pour la protéger, veiller sur elle. Qui faut-il craindre finalement ? Il n’est peut-être pas de meilleur monstre que soi-même… Ariane interroge souvent les miroirs, et ceux-ci pourraient être appréhendés eux aussi comme des producteurs d’ombre, d’un double d’elle-même, capables de révéler sa face cachée et de la faire douter de sa propre personne : une rencontre troublante qui matérialise un désarroi qu’exacerbe l’idée de se retrouver enceinte d’un monstre qui sera, selon toute probabilité, « taré et débile ».

l'issue du labyrinthe

L’être humain est, par définition, un irresponsable que l’on se doit de protéger de lui-même.
Ariane dans 9 mois ferme

Un coup de tête dans le miroir
Après s’être butée contre les murs et avoir essayé de traquer son image dans tous les miroirs, Ariane brise littéralement la glace, contre laquelle elle se projette violemment lorsqu’elle découvre la clef qui lui permettra de dénouer la situation. Comme elle dit : « Je réfléchissais. » Orphée, dans le film de Cocteau, réussissait quant à lui à passer de l’autre côté, tout comme Momo qui, après l’incident du miroir cassé, parvient à franchir le pont au travers de la tourmente…

Car l’épreuve est évidement faite pour être surmontée. Ariane doit s’assumer en surmontant son refoulement et Momo doit se débarrasser de sa culpabilité. Et quel meilleur moyen pour reprendre le dessus que de se retrouver séquestrée, coincée au fond de son appartement, ou bien face à sa solitude sur une île ? C’est ainsi, en acceptant de vivre avec ses démons, que l’on peut se reconstituer, se reconstruire, se réconcilier avec le souvenir. Momo finit par dominer sa peur et se risque à plonger avec ses camarades, tandis qu’Ariane se décide à fièrement exposer son ventre aux yeux de tous et à "accoucher" de la vérité en plein tribunal. Les deux films se concluent sur une image de maternité, le rétablissement d’une relation entre mère et fille, ou l’épanouissement d’une fille-mère… Quoiqu’il en soit une ouverture sur l’avenir.

Le temps, bloqué par la mémoire, peut désormais reprendre son cours. La pendule se remet à marcher sur l’île de Lettre à Momo.

La consolation à la fin de Lettre à Momo
 

mémoire sans souvenirs

Quand le contenu du souvenir s’efface, la marée montante du temps divise, recouvre les plages et les rochers, tandis que le voyageur qui s’éloigne du rivage le voit peu à peu se fondre dans un horizon brumeux d’où émergent quelques amers.
Jean-Yves et Marc Tadié, Le Sens de la mémoire

La mémoire dans le film Vice-versa
Les connaissances concernant les mécanismes de la mémoire et de l’oubli reposent essentiellement sur l’étude de pathologies. Il est certain que le fait d’oublier ou de mélanger ses souvenirs semble beaucoup plus naturel et facile à comprendre que celui de se rappeler, capter, stocker, ordonner et fidèlement restituer d'impressionnantes masses d’information : tous ces mots que l’on entend ou que l’on lit, tous ces visages plus ou moins familiers, tous ces bouts de trottoir ou coins de campagne où l’on se retrouve, ces gestes qui tissent notre vie et composent, avec leurs multiples implications logiques ou sentimentales, le patrimoine de notre pensée.

On dit que la mémoire est immense, insondable, que tout ce qu’on a vécu et connu y reste à jamais imprimé. C’est ce que ressentent les hypermnésiques pour lesquels tous les détails de leur vie ont été enregistrés. Les images du passé leur reviennent inopinément à l’esprit, et ils ont le plus grand mal à s’en débarrasser pour revenir à la réalité du présent. On peut alors se demander si une mémoire totale peut vraiment être considérée comme un bienfait.

nécessité de l'oubli

L’oubli […] est un si puissant instrument d’adaptation à la réalité parce qu’il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle.
Marcel Proust, Albertine disparue

Francis Eustache constate que la mémoire ne cesse de déformer, amalgamer, généraliser les souvenirs sous la pression des événements. « À de rares exceptions près, la représentation de l’événement est destinée à être modifiée au fil du temps, en fonction du vécu et des aspirations du sujet. » Et il s’interroge : « La principale qualité de la mémoire serait-elle donc son imprécision, ou même sa capacité à modifier la réalité ? »

L’oubli est indispensable à la vie et à la création. Nietzsche l’affirme : « Il est impossible de vivre sans oubli». Il est important de pouvoir effacer pour tout recommencer, réinventer : faire le tri afin de reconstruire sa propre histoire, bâtir son identité sur la base des seuls souvenirs qui vous conviennent en n’hésitant pas, s’il le faut, à s’en créer des nouveaux.

Jim Carrey dans Eternal Sunshine of the spotless mind
La culture est, dit-on, ce qui reste lorsque l’on a tout oublié : comme une huile essentielle qui retient les principes actifs de la plante, ou plutôt comme ces médicaments homéopathiques qui se souviendraient des vertus de substances que l’on a fait disparaître à force de dilutions. On peut aussi considérer la mémoire comme une fonction digestive qui en appelle nécessairement à l’oubli : tout ce que l’on absorbe est décomposé, réduit à sa plus simple expression, avant d’être reconverti en énergie ou assimilé dans des organes qui s’en nourrissent. Alors que toute la masse superflue, improductive, est évacuée à jamais de l’organisme, ou bien s’accumule secrètement dans les graisses afin d’être éventuellement un jour utilisée.

Pour Platon, l’âme, au moment d’être incarnée, perd le souvenir des pures Idées dont elle garde au fond d’elle-même la réminiscence. L’âme pour Jung est modelée par des archétypes qui se tapissent au creux de la conscience. Des vestiges de notre enfance reposent, silencieux, dans les dédales de notre mémoire : Œdipe – celui du mythe ou celui de Freud – le sait bien. Toute notre existence est imprégnée de souvenirs latents. Il faut y ajouter les habitudes acquises au fil des ans, tout ce que l’on accomplit automatiquement sans s’en rendre compte, rémanences de lointains apprentissages : marcher, parler, conduire une voiture, savoir se tenir en société…

Ce qui ne parvient pas, ou ne parvient plus à la conscience, et qui représente les fondements de notre identité, peut être considéré comme oubli, et peut être ou ne pas être rappelé au hasard d’une rencontre ou au terme d’une psychanalyse. Tels sont les sentiments, les sensations, les idées qui nous ont une fois habité, dont on a tout oublié, et qui, tel l’émoi engendré par la madeleine de Proust, refont surface à l’improviste, comme de petites “résurrections de la mémoire" qui nous troublent ou éclairent notre intimité.

Il s’agit là, loin de ces souvenirs, impliquant tristesse ou remords, que l’on aimerait tant voir effacés, d’un "doux oubli", que l’on ne saurait connaître puisqu’il est absence, inexistence : on oublie forcément ce qui est déjà oublié... Mais l’oubli peut être aussi plus brutal, imposé par son propre vécu, par les circonstances ou par de tierces personnes. Il se montre alors troublant, gênant ou handicapant.

le trou de mémoire

L’amas des souvenirs se disperse à tout vent !
Victor Hugo, Tristesse d'Olympio

Chacun sait à quel point il est souvent difficile, apparemment impossible de ramener à soi certains souvenirs : retrouver tout simplement des mots (comme celui qui s’attarde au bout de la langue…), des idées probablement sublimes, des objets familiers qui disparaissent inexplicablement... Des trous ne cessent de se former dans la trame de notre mémoire. Et comment décrire un trou, puisqu’il n’est fait que de vide ? On ne le voit pas, on ne peut pas le toucher ! Certains trous peuvent s’avérer vertigineux. Il faut cependant reprendre le fil, et essayer de combler de grandes plages qui ont été oblitérées.

On parlait aussi de ceux-là qui, la nuit, foulaient sans prendre garde l’herbe d’oubli, ou "de détourne" ("à adirer" disait-on en Anjou), et qui perdaient alors tout souvenir. Ils ne savaient plus où ils étaient ni comment ils s'appelaient, et se trouvaient condamnés à errer toute la nuit, à la merci des korrigans qui menaient leur danse. Ce n’est qu’au lever du soleil qu’ils retrouvaient leur chemin. On se souvient encore de ces jeunes femmes ensorcelées qui, dans les contes, perdent tout souvenir d’avoir été mariées jusqu’à ce qu’elles retrouvent l’élu de leur cœur.

Guy Pierce dans Memento
Des films comme Eternal Sunshine of the spotless mind ou Je te promets, où l’amour finit par triompher du temps de l’oubli, ne racontent pas autre chose. Quant au héros de Memento, il court après son identité : comme dans La Mémoire dans la peau, le corps garde le souvenir de ce que l’esprit a choisi d’occulter. Il s’agit alors de cicatriser, de recoller les morceaux du puzzle. La mémoire est un acte permanent de reconstruction de soi-même.

ERRANCES DE LA Mémoire

La perte de la mémoire n'est pas toujours le problème. Parfois - et même souvent - c'est la solution.
Stephen King, Duma Key

Il peut arriver aussi que l’oubli soit sciemment planifié, et la mémoire délibérément dévoyée. La saga Harry Potter mentionne ces sortilèges d’amnésie et de faux souvenirs qui sont bien utiles pour assujettir ceux que l’on veut contrôler. L’instabilité de la mémoire et l’emprise dont elle peut être l’objet sont tout autant une hantise pour Philip Dick, qui s’exprime par exemple dans le film, adapté de la nouvelle Souvenirs à vendre, Total Recall : qui sommes-nous précisément ? Elisabeth Loftus, quant à elle, s’est attachée, devant la vague d’accusations de viols et d’incestes aux USA dans les années 80, à traquer ces pseudo-souvenirs élaborés par certains psychiatres. Tandis que des régimes politiques n’hésitent pas à reconstruire l’histoire en imposant l’oubli, l’interdiction de se souvenir. 1984 en est l’illustration par excellence, mais on peut tout aussi bien s’interroger sur la domination imposée par les médias et certains pouvoirs dans notre société contemporaine.

Gregorio Lazzarini, Orphée dépecé par les Ménades
La mémoire, dans les cas extrêmes, se trouve alors dissociée. Au-delà des multiples cas de schizophrénie ou de paranoïa, le syndrome de personnalités multiples dont témoignent des films comme Dédales, Psychose ou L'Étrangleur de Boston, ainsi que des thèmes comme ceux du loup-garou, ou de Mr Jeckyll et Mr Hyde.

On en arrive à se leurrer soi-même et, entre refoulement et désirs inavoués, à se laisser aller à fabuler et à se recomposer des souvenirs à sa convenance, à se forger une mémoire imaginaire : les faits et les personnages que l’on a connus sont allègrement niés ou mythifiés, quand ils ne sont pas carrément inventés. À force de se répéter certaines choses qui ne sont pas nécessairement vraies, on finit par se convaincre de la réalité de ses souvenirs. On se crée ainsi, à l’exemple de ceux qui rédigent leur autobiographie, sa propre histoire : on se projette dans un récit de fiction qui reproduit des scénarii conformes aux romans, films et séries, et aux modes de pensée, aux rumeurs, qui constituent la mythologie de notre société. « Dans le processus de recréation de nos propres histoires, nous courons le risque très sérieux de prendre des événements imaginés pour des souvenirs d’expériences réelles », nous avertit Elisabeth Loftus.

Ce sont encore les aléas de la vie qui font vaciller la raison de certains héros au point de leur faire perdre toute conscience d’eux-mêmes. Ils se laissent, sous la pression de l’épreuve, emporter par leurs passions. Héraclès, provoqué par Héra, en arrive à tuer son épouse et ses enfants. Lancelot, éloigné de la reine Guenièvre, sombre dans la folie et se voit interdire l'accès au Graal. Sans parler d’Orphée qui, incapable de faire revenir Eurydice des Enfers, se laisse gagner par la furie des Ménades qui le démembrent.

la perte DE Mémoire

J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques, Le Vallon

Lorsque le désir de vivre s’émousse, la mémoire marque le pas. Peu à peu on s’absente de soi-même, dans le calme ou dans la fureur. Madeleine Chapsal (Le Trou de mémoire) parle de l’oubli comme d'« une forme manifeste de suicide », un moyen d’échapper au poids écrasant des souvenirs.

Les compagnons d’Ulysse, eux aussi, se trouvaient las de naviguer de côte en côte. Ils auraient bien goûté de ce lotos qui fait oublier à ceux qui en mangent qui ils sont et d'où ils viennent ; ils se seraient volontiers abandonnés aux délices d’une terre idyllique et auraient perdu tout désir de retourner dans leur patrie natale. Ils devaient aussi bien se garder du chant des Sirènes qui leur réservaient un sort moins enviable.

L’oubli est traditionnellement assimilé au sommeil et à la mort. Certes la perte de mémoire accompagne la dégénérescence de l’être au terme de son existence. Mais il faut aussi l’envisager sur le plan spirituel, car c’est à leur naissance que les hommes perdent le souvenir de leur condition divine, en même temps que celui de leurs existences antérieures : une mémoire que les mystiques aspirent à raviver.

Après un grand nombre de siècles passés dans l'Enfer, les âmes obtiennent la faveur de se réincarner sur terre. Il leur faut alors boire les eaux du Léthé, ce fleuve d'huile au cours silencieux qui procure l'amnésie et qui n’est pas seulement celui où tout se dissout. Il est surtout porteur de renaissance, d’un nouveau baptême.

Gustave Doré, le Léthé, in Le Purgatoire, La divine Comédie
 

Livres

. Simon-Daniel KIPMAN, L’Oubli et ses vertus, Albin Michel 2013
. Jean-Yves et Marc TADIÉ, Le Sens de la mémoire, Gallimard, 1999
. Elizabeth LOFTUS, Katherine KETCHAM, Le Syndrome des faux souvenirs, Éditions Exergue, 2012
. Jacques NINIO, Au cœur de la mémoire, Odile Jacob, 2011
. Francis EUSTACHE, Pourquoi notre mémoire est-elle si fragile ?, Le Pommier, 2003

Films

. Michel GONDRY, Eternal Sunshine of the spotless mind, 2004
. Ari FOLMAN, Valse avec Bachir, 2008
. Christopher NOLAN, Memento, 2000
. Alfred HITCHCOCK, La Maison du Dr Edwardes, 1945
. David LYNCH, Mulholland Drive, 2001
. Nick CASSAVETES, N’oublie jamais, 2004
. Zabou BREITMAN, Se souvenir des belles choses, 2001
. Sarah POLLEY, Loin d’elle, 2006
. Richard GLATZER, Wash WESTMORELAND, Still Alice, 2014
. Martin SCORSESE, Shutter Island, 2010
. Paul VERHOEREN, Total Recall, 1990
. Aki KAURISMÄKI, L’Homme sans passé, 2001
. Peter SEGAL, Amour et amnésie, 2004

Programme 2017-18

9 mois ferme

France- 2012 - 82 minutes - couleurs

Réalisation : Albert Dupontel
Scénario : Albert Dupontel
Image : Vincent Mathias
Musique : Christophe Julien
Interprètes : Sandrine Kiberlain (Ariane), Albert Dupontel (Bob), Nicolas Marié (Me Trolos), Philippe Uchan (juge de Bernard), Bouli Lanners, Michel Fau, Yolande Moreau, Jean Dujardin...

SUJET
Ariane Felder, juge quadragénaire, célibataire endurcie, se retrouve, après le réveillon du jour de l'an, inexplicablement enceinte … Il faut dire que ses collègues de travail l'avaient alors fait boire plus que de raison. Ce qui est encore plus surprenant, c'est que les tests de paternité affirment que le père de l'enfant n'est autre que Bob, un criminel incarcéré à la suite d'une atroce agression.

Tandis qu'Ariane, qui ne se souvient de rien, tente de comprendre ce qui s'est passé, Bob profite de la situation pour essayer de prouver son innocence...

lettre à momo

Japon - 2012 - 120 minutes - animation - couleurs - VF

Réalisation, scénario : Hiroyuki Okiura
Image : Kiji Tanakau
Musique : SMina Kubota

 

SUJET
Momo conserve une lettre inachevée écrite par son père récemment décédé. Sa mère décide de quitter Tokyo et d'aller habiter avec elle dans son île natale. Momo s'y ennuie et se souvient douloureusement de la dispute qu'elle a eue avec son père juste avant qu'il ne disparaisse. Elle découvre dans le grenier un vieux manuscrit illustré de figures fantastiques. Bientôt des êtres bizarres lui apparaissent et la terrifient. Importuns et fantasques, ils se mettent à l'accompagner au fil de ses journées jusqu'à ce qu'elle s'accoutume à leur présence...

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