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etsport : vers la performance !

Dans le cadre de la Fête de la Science, avec le soutien de la Région des Pays de la Loire

 

lundi 2 octobre, 20h : Film
The Program (Grande-Bretagne, France, 103 min.) de Stephen Frears, avec présentation et débat en présence de Louis Mathieu, de l'association Cinéma Parlant et Wendy Cutler, docteure en langues et littératures anglophones
Cinéma Les 400 coups, 2 rue Jeanne Moreau, Angers
Tarifs habituels aux 400 Coups : 8,60 €, réduit 6,90 €, carnets 5,70 € ou 5 €, moins de 26 ans 6 €, moins de 14 ans 4,50 € - tarif groupe, les matins  également, sur réservation (02 41 88 70 95) : 4,20 €

mardi 3 octobre, 18h30 : Conférence
Tricher n'est pas jouer ou le sport en question, par Geoffrey Ratouis, historien

De Gilgamesh à Sanson et d'Hercule aux amazones, mythologie et religions ont longtemps conféré à la force et à la performance physique une origine divine. L'avènement du sport, à la fin du XIXe siècle, puis sa médiatisation tout au long du XXe siècle et jusqu'à aujourd'hui, ont transformé les athlètes en véritables héros des temps modernes. Au regard des enjeux personnels, financiers et géopolitiques, qu'elle est grande la tentation du dopage et de la duperie !
Grand Théâtre (Institut Municipal), place du Ralliement, Angers
Gratuit

mardi 10 octobre, 18h30 : Table ronde
Sport et performance

L'association angevine Cinélégende organise, dans le cadre de la Fête de la Science, une table-ronde sur le sport et la performance. Animée par Thierry Lardeux, journaliste spécialiste du sport, et illustrée d'extraits de documentaires, la soirée abordera les bases scientifiques ainsi que les ressorts sociologiques, physiologiques et mentaux de la performance autour de trois intervenants : Arnaud Sébileau, sociologue du sport, Pierre Abraham, professeur et chef de service Médecine du sport au CHU d'Angers, David Maillochon, ultra-trailer et coach sportif, et Claire Supiot, nageuse angevine membre de l'équipe de France aux JO de 1988, qui a repris la compétition en handisport à l'âge de près de 50 ans après avoir contracté la maladie de Charcot-Marie-Tooth. A ce jour la seule athlete olympique et paralympiques en France, elle a participé aux jeux paralympiques de Tokyo et prépare Paris 2024.
Université Catholique de l'Ouest, Amphi Bedouelle, 6 r Merlet de la Boulaye, Angers
Gratuit

mercredi 11 octobre, 19h : Film documentaire
Les Optimistes de Gunhild Westhagen Magnor, débat avec Clément Gaboriaud et des membres de l'association Siel bleu

C'est une équipe de volley norvégienne hors du commun : les joueuses ont entre 66 et 98 ans ! Bien que ces mamies sportives n'aient pas joué un seul vrai match en 30 ans d'entraînement, elles décident de relever un grand défi : se rendre en Suède pour affronter leurs homologues masculins...
Espace Welcome, 4 rue Maurice Sailland, Angers
Gratuit

  du 9 au 13 octobre : Expositions
Histoire, sport et citoyenneté

Dans la perspective des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024, cette exposition veut rendre hommage aux championnes et champions qui ont fait les Jeux Olympiques de 1896 à nos jours et d'illustrer les valeurs citoyennes qu'ils incarnent. Ce programme vise à faire en sorte que le sport et ses plus belles valeurs surgissent et s'imposent dans la vie de chacun.

Science et sports
Athlétisme, volley, natation, sports individuels ou collectifs… les activités sportives envahissent notre quotidien. Le sport, partie prenante des grands enjeux de nos sociétés, est étudié et analysé par la recherche scientifique dans des domaines aussi différents que la biologie, la biomécanique, la physique et la chimie des matériaux, la mécanique des fluides, la modélisation, les sciences humaines et sociales.
Lycée Joachim du Bellay 1, av. Marie Talet, Angers
Gratuit

Commentaires

Textes de Philippe Parrain

La malice, la duperie et la fourberie font partie du patrimoine de l'humanité. Elles mettent en évidence l'étendue des capacités d'inventivité et d'initiative de l'espèce humaine.

Il semble que certains veuillent se faire une place dans la société en passant devant les autres, en gagnant du pouvoir et en aspirant à dominer leurs proches. Il faut en effet apprendre à se débrouiller, quitte à tricher un peu, ou à monter de véritables arnaques. Les personnes lésées n'apprécient pas nécessairement, et les fraudeurs risquent parfois de lourdes sanctions. Ce qui n'empêche pas le public d'apprécier leur ingéniosité et leur audace, voire leur humour. Il peut même les consacrer comme de véritables célébrités, voire des divinités.

Le cinéma nous propose quelques beaux portraits de magouilleurs. Dans les films, cela finit mal le plus souvent,. Mais dans la réalité ? Nombreux sont sans doute ceux qui savent assumer leur soif de réussite en profitant impunément du fruit de leurs exactions...

The Program

Stephen Frears s'est consacré aux genres les plus divers, drames et comédies, chroniques sociales et films d'époque… À partir de la fin des années 2000, il se tourne, avec succès, vers les carrières insolites de femmes plus ou moins connues : une reine bousculée par la mort de Diana (The Queen), une organisatrice de spectacles fantasque (Madame Henderson présente), une mère à la rechercher de son fils (Philomena), une cantatrice qui chante faut (Florence Foster Jenkins)…

C'est à la biographie d'un homme à la carrière tout aussi cabossée qu'il s'intéresse dans The Program qui suit fidèlement l'histoire du coureur aux sept victoires du Tour de France, Lance Armstrong, en s'appuyant sur le récit, personnellement impliqué, qu'en a fait un journaliste : David Walsh, auteur du livre Sept péchés capitaux : à la poursuite de Lance Armstrong (2012).

À noter que le film recentre toute l'enquête sur ce dernier, en laissant dans l'ombre Pierre Ballester, journaliste à l'Équipe, qui a tout autant participé à la recherche du secret du cycliste.

L'affaire Armstrong a révélé les proportions effarantes prises par le dopage "médicalisé" effectué avec la complaisance des uns et le silence gêné des autres: une pratique qui avait pourtant été déjà révélée par les décès de Tom Simpson ou de Marco Pantani, par des rumeurs et victoires suspectes, ou par la fameuse affaire Festina de 1998, évoquée dans le film, avec Richard Virenque contrôlé positif "à l'insu de son plein gré".

Le film a recours à des images d'archives et à la participation de coureurs professionnels. Il rapporte fidèlement l'histoire de Lance Armstrong et fait appel à des acteurs - Ben Foster en tête - particulièrement convaincants.

The Program permet à Stephen Frears de renouer avec un thème qui lui est cher : la tromperie et les faux semblants (Les Arnaqueurs, Héros malgré lui, Les Liaisons dangereuses, Tamara Drewe…). On y retrouve la traditionnelle trajectoire narrative où l'ascension du héros annonce son irrémédiable chute, de la gloire à l'opprobre.

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thèmes mytho-légendaires du film

Les premières images nous montrent un cycliste au loin, gravissant une route de montagne : une silhouette solitaire, anonyme, de dos, perdue dans les nuages, semblant partir à la conquête du ciel. Puis on se rapproche, on le rattrape, il s'incarne et il prend consistance. Le souffle aérien du vent fait place au souffle du cycliste dans l'effort.

Tout en cassant l'image, l'émergence de la musique en crescendo le propulse vers les sommets avant de l'entraîner dans l'ivresse d'une folle descente qui débouche sur le rêve de la plus prestigieuse des compétitions : le Tour de France qu'actualise un montage d'images d'archives se concluant par une série de bras levés en V de la Victoire.

Le héros

Que la force soit avec toi
Luke Skywalker, dans la saga Star Wars

Le jeune Armstrong partage cette joie de la victoire en levant, lui aussi, les bras en l'air, même s'il ne s'agit là que d'une partie de baby-foot qui l'oppose à Walsh, celui à qui il impose un gage implacable et qui par la suite n'aura de cesse de lui faire mordre la poussière. Il trahit ainsi un incompressible besoin de dominer, ce que pourrait suggérer une sorte de calembour si l'on veut bien traduire son nom par "lancer (en l'air) des bras forts".

C'est une victoire modeste mais remportée comme un défi "à la loyale", un exploit "chevaleresque", comme aurait pu le dire Coubertin, mais encore à ce stade au sens donquichottesque. Armstrong est encore un homme ordinaire, qui voudrait seulement se montrer "bon en course d'un jour". Mais, après quelques escarmouches, c'est un combat de géants qui va s'engager avec Walsh. Il ne s'agit certes pas d'un film de gangsters, ni d'un western malgré les racines et l'âme texanes d'Armstrong. Mais il s'agit d'un film résolument viril où les femmes n'ont pour ainsi dire aucun rôle à jouer. Stephen Frears y met en scène un acharnement, une volonté sans faille visant un seul but : Gagner, être le meilleur du monde. Quitte à proférer, fort de son pouvoir, des menaces envers quiconque voudrait porter atteinte à sa réputation de héros : "Attaquez sans pitié. Ne regardez pas en arrière."

Armstrong rejoint ainsi les héros et super-héros : il entend brûler toutes les étapes, sans hésiter à lâcher son coéquipier. C'est un combattant sans scrupule armé d'une rage de vaincre sans faille. Et, comme pour ces héros, son parcours passe successivement par l'acquisition de la force, l'irrésistible ascension et l'inévitable chute qui met un terme à leurs exploits : Hercule, au terme de ses fabuleux travaux, revêt la tunique empoisonnée de Déjanire, et Rambo, après avoir tout fait exploser, doit se résoudre à se rendre aux autorités, sans parler de Bonny et Clyde qui ne peuvent que mettre fin à leur folle équipée, criblés de balles. Pour Armstrong cependant le combat ne sera pas fini. L'affrontement se reporte sur le plan juridique. Et, même vaincu, il poursuit sa lutte, cette fois-ci contre le dopage : "Je vais nettoyer le cyclisme et je reviendrai […] Je suis fait pour ça."

La démesure de ses actes ne peut que faire vibrer les foules. Sa notoriété survivra même après sa déchéance, et les ovations du public appellent la surenchère. Le sport (personnel ou de compétition) ne repose-t-il pas sur la notion de progrès : faire mieux, se surpasser et, plus que tout, surpasser l'autre ? Il semble aussi que le recours à la ruse ne soit pas forcément condamnable. Elle permet aux plus faibles de résister, en fait de se substituer aux plus forts. C'est la ruse et l'intelligence qui permettent à Renart, au Chat botté, au petit tailleur, à Nasr Eddin et à d'autres héros de triompher malgré leur apparente faiblesse. Ulysse lui-même, le "héros aux mille ruses", se garde bien d'affronter physiquement le terrible cyclope Polyphème…

La potion magique

Une partie de cette force qui tantôt veut le mal, et tantôt fait le bien.
GoetheFaust

Méphistophélès se voit ici réincarné en la personne sournoise du Dr Ferrari. C'est lui qui remet Armstrong en selle et qui lui infuse toute son énergie. Le cycliste pourtant au début se revendiquait comme vertueux, intègre et incorruptible : "Je veux pas me doper." Mais, distancé par l'équipe adverse et souillé de boue, il est confronté à l'échec et, s'il veut continuer de jouer à la loyale, il se voit obligé de se compromettre. C'est à ce moment-là qu'apparaît Ferrari, en subtil argumenteur au sourire narquois, et que, tel st Paul sur le chemin de Damas, Armstrong a la révélation de l'EPO. On le découvre couché, songeur, traversant la nuit du doute, refusant encore le dopage.

Mais on le retrouve aussitôt près de la caravane du médecin sportif qui, tel le Diable ayant repéré une âme, l'avait déjà repéré : "Je sais qui vous êtes." Du coup le pacte est scellé, formalisé par un "programme" qu'il devra suivre fidèlement, et il s'engage à la suite de son nouveau maître, non sans un regard inquiet pour vérifier si personne ne le voit.

Il existait bien des moyens naturels pour soigner sa forme : le régime alimentaire, le mode de vie, l'entraînement... La principale drogue pour Armstrong restait une insatiable ambition, la fureur de gagner, quitte à emprunter tous les chemins possibles pour se maintenir au niveau des autres avant de les dépasser par sa soif de victoire. C'est pour cela qu'il en arrive à avoir recours à certaines substances magiques, comme la potion de Panoramix, la formule chimique de Mr Hyde ou les épinards de Popeye, tandis que le Petit Poucet échappait à l'ogre grâce à ses bottes de sept lieues, ou que Samson tirait sa force de sa chevelure. C'est également grâce à une ruse, en le faisant boire le lait d'Héra, que Zeus avait pu accorder une part d'immortalité, et donc d'invincibilité à Hercule. L'ambroisie, quant à elle, conférait aussi aux dieux de l'Olympe l'immortalité, et aux hommes méritants la jeunesse éternelle.

Mais, plus puissante que de simples potions - testostérone, EPO, cortisone, hormone de croissance… -, Ferrari propose la régénération par le sang, avec le ballet des prélèvements, transfusions, réfrigérations, injections, perfusions... Certains scientifiques ne pensent-ils pas trouver dans la transfusion du sang d'un individu jeune des éléments permettant de prolonger la jouvence des personnes âgées ? La comtesse hongroise Bathory l'avait déjà expérimenté : elle faisait enlever et tuer de jeunes vierges pour prendre des bains rajeunissants dans leur sang. C'est ainsi qu'elle aurait fait immoler plus de six cents jeunes femmes. Il n'est pas nécessaire de rappeler comment Dracula et les vampires pouvaient se survivre à eux-mêmes. Le sang est en soi revivifiant, qu'il s'agisse de celui des combattants (versé pour la Patrie ou le sang impur qui abreuve nos sillons), de celui des victimes sacrificielles que l'on boit ou dont on s'asperge, et bien entendu de celui, rédempteur, du Christ crucifié qui fut recueilli dans le saint Graal de la légende arthurienne, symbole d'immortalité pour qui le possède.

Le saint

La première caractéristique essentielle de l'olympisme moderne, c'est d'être une religion.
Pierre de Coubertin

Tout en excellant dans l'art de tromper tout le monde, Armstrong garde une foi du cœur, spontanée, totale. Walsh idéalise au début du film la vocation du coureur : "Certains coureurs parlent du Tour comme d'une aventure, d'une odyssée à travers la douleur, la souffrance, l'épuisement. Quelque chose de quasi religieux qui finit par apporter une profonde connaissance de soi-même." Ce à quoi Armstrong répond en affichant une foi simple, un peu naïve, digne d'un François d'Assise : "J'adore le vélo, c'est tout." Il se présente finalement comme un ermite qui se consacre totalement à sa mission : toute sa vie est consacrée à l'entraînement, à la compétition ; ses fréquentations se limitent à ses "coreligionnaires", et on ne lui connaît aucune liaison avec les femmes, même si on le voit passer (très rapidement, une simple formalité) par la case mariage.

Georges Vigarello explique comment la compétition sportive, solennisée et ritualisée, se substitue aux anciennes pratiques cultuelles : "C'est le mythe de l'exemplaire qui a séduit, drainant insensiblement les foules jusqu'à prendre partiellement la place de la ferveur religieuse déclinante." (Passion sport).

Armstrong frôle la mort, il se voit plonger au fond d'un vaste trou d'eau au nom très symbolique, "Dead Man's Hole" ("le trou de l'homme mort"), avant de renaître, peut-être Tout s'efface pour lui. Un écran blanc le fait réémerger à la lumière. Douloureusement il revient à la conscience et réapprend à marcher, et à faire du vélo après en avoir regonflé les pneus. Miraculé, pour ainsi dire ressuscité, il va trouver un nouveau sens à sa vocation.

Saint auto-proclamé, il finira par consacrer sa propre gloire à des actions caritatives : la recherche contre le cancer. Une œuvre sans doute désintéressée, sincère, que son coéquipier, plus terre-à-terre que lui, voit comme une bonne idée publicitaire, mais qui, en ce qui le concerne, ressemble davantage à une façon d'expier des fautes qu'il se résout à avouer.

Le repenti

Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.
Genèse, III, 5

De "petites" triches peuvent tout dérégler et entraîner des drames. Frears l'avait déjà démontré avec légèreté avec son Tamara Drewe . Cela commence comme une comédie lorsqu'Armstrong et ses co-équipiers vont se procurer de l'EPO dans une pharmacie suisse. Mais la punition est immédiate : la maladie se déclare juste après la première victoire du cycliste.

La folie de la toute-puissance, plus forte que tout, ne s'en empare pas moins de lui. Il se ment à lui-même en déclarant qu'à l'hôpital il a refusé de s'asseoir et de s'avouer vaincu : "J'ai marché. Je n'ai pas renoncé." Prétention de mythomane qu'ultimement la réalité ne pourra que briser de nouveau.

Le saint doit en effet se compromettre, revenir sur terre, s'il veut renouer avec la victoire. Il chute à terre, épuisé, mais aussitôt la caméra se retrouve à Ferrare pour découvrir, à partir du ciel, le refuge de Ferrari, le Tentateur, vers lequel, comme aimanté, il retourne : "Je suis prêt à tout."

Le héros, de par sa nature même, commet des fautes qui sont comme le revers de ses qualités. C'est sa tendance à l'excès, à la démesure - la redoutable hybris qui, chez les Grecs, défie la sagesse des dieux - qui lui permet de remporter de nouvelles victoires : "Je suis Lance Arsmtrong. Lui, c'est personne. J'aime bien qu'on essaie de me dépasser… Parce que je vais plus vite. Je meurs pas. Et personne ne m'arrêtera." Elle l'amène en même temps à se mettre en défaut. Il ne sait pas où s'arrêter et il est irrésistiblement poussé à des transgressions dont il doit ensuite payer le prix. Sisyphe, lui aussi, avait défié la mort et enfreint les lois de Zeus. Il lui en coûta de devoir inlassablement faire rouler jusqu'au haut d'une colline un rocher qui en redescendait sans cesse…

Armstrong a beau essayer de se convaincre en répétant devant la glace : "Je n'ai jamais été contrôlé positif à des produits dopants", il doit se rendre à la réalité lorsque Landis, son double, son ombre, son alter ego maléfique est contrôlé positif. Il doit alors faire retour sur lui-même, on le retrouve la tête renversée comme lorsqu'il était à l'hôpital. Avant de revenir au bord du Dead Man's Hole, dans lequel il plonge symboliquement : "C'est tellement perdu que ce n'est indiqué nulle part. Je me tenais là, au bord du précipice."

Il lui faut donc céder et, non sans préserver sa fierté, faire amende honorable : "Vous avez pas les clés de ma rédemption. Le seul qui les a, c'est moi." Ce sera pour lui le temps de la retraite, le repos du guerrier et il va, tout en surfant sur sa notoriété, participer à des compétitons moins prestigieuses que le Tour, soutenir la lutte contre le cancer en même temps que la campagne anti-dopage, ou encore enregistrer d'inoffensifs spots publicitaires.

L'icône

Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende.
Le journaliste à la fin de L'Homme qui tua Liberty Valance de John Ford

Le titre d'abord envisagé pour ce film, Icon, mettait en évidence la dimension religieuse, et exemplaire, de notre héros. Il se présente assurément comme un personnage fascinant. Qui oserait critiquer un ancien malade du cancer devenu un modèle de combativité et de réussite financière qui, de plus, consacre sa renommée à agir sur le plan caritatif ?

Les grandes épreuves sportives racontent, sur le mode de l'épopée, l'histoire des champions, leurs prouesses, leurs infortunes. Elles assurent la survivance des modèles héroïques et perpétuent la ferveur des fêtes païennes ou le prestige des tournois médiévaux. La foule des fidèles s'enthousiasme devant le spectacle des souffrances endurées tout autant que pour les épisodes glorieux. La presse y joue un rôle comparable à celui des bardes qui chantaient les exploits des héros légendaires, tandis que les institutions et organismes de contrôle ferment les yeux sur tout ce qui pourrait nuire au spectacle. Quels que soient les doutes et les circonstances, il est impératif que, comme le dit Walsh, "personne ne parle. La fête doit continuer".

Reste la question du dopage auquel il semble difficile de ne pas avoir recours. C'est ce qui a fait tomber l'idole Armstrong, cette figure emblématique des dérives du sport moderne. Cela ne l'a pas empêché de préserver son aura de champion. Il revendiquait encore, en 2015, le fait d'avoir, médiatiquement, gagné ces Tours. Car "pour moi il doit y avoir un vainqueur... Je dis ça en tant que fan."

La notoriété suppose sans doute de bons sentiments, de beaux gestes, mais elle ne s'encombre pas forcément de légalité. Robin des Bois ou Mesrine l'ont bien prouvé. Armstrong est resté une icône, même si celle-ci s'est vue diabolisée. Il continue de fasciner, il reste actif et demeure un personnage d'influence, une figure médiatique. Il commente son parcours : "C'est une histoire incroyable. C'était l'histoire idéale, et elle a duré très longtemps… C'était l'histoire mythique, parfaite.", en concluant : "Et c'était faux.".

Comme le chante Leonard Cohen en générique de fin : "Tout le monde le sait, tout le monde le sait. C'est comme ça." 

les clefs de l'exploit

Les hommes ont toujours rêvé d'êtres supérieurs, de dieux pour diriger leur destinée, de héros pour leur ressembler. Et ils ont cherché à les égaler. Il fallait pour cela dépasser leur condition, créer le surhomme.

L'homme remodelé 

De quelle étoffe est donc fait un héros ? Il peut être de filiation divine comme Héraclès, deux fois né comme Dionysos, prédestiné comme Moïse, adoubé comme Perceval... Ou, comme Achille rendu invulnérable après avoir été exposé au feu ou plongé dans les eaux du Styx (en étant malheureusement pour lui tenu par le talon).

Le sportif, lui, s'il veut briller dans sa pratique quotidienne ou en compétition, doit déjà être doté à sa naissance d'une certaine prédisposition physique et mentale. Il doit aussi être capable de se surpasser, de stimuler ses dispositions naturelles. L'entraînement, le régime alimentaire, une certaine austérité, une surveillance de tous les instants y contribuent.

Cela se confond aussi avec les progrès de la science. De petites astuces aux technologies les plus avancées, les athlètes se voient proposer bien des moyens pour booster leurs records, qu'il s'agisse de s'abriter du vent derrière le co-équipier, d'utiliser des chaussures connectées, de traqueurs de mouvements, de combinaisons en polyuréthane pour les nageurs ou de matériaux composites pour les catamarans, sans parler d'Oscar Pistorius qui, grâce à ses prothèses de jambes, court plus vite que ses concurrents valides. En attendant les robots de compétition qui ambitionnent de créer une équipe de football capable de battre l'équipe humaine championne du monde.

Les âmes pures

Je promets, sur l'honneur, de pratiquer le sport avec désintéressement, discipline et loyauté pour devenir meilleur et mieux servir ma patrie.
Serment imposé aux athlètes par Philippe Pétain en 1941

L'olympisme en appelle à l'Olympe, la demeure des dieux, et implique une certaine droiture. Comme le note Vigarello (Passion sport) : "C'est le mythe de l'exemplaire qui a séduit, drainant insensiblement les foules jusqu'à prendre partiellement la place de la ferveur religieuse déclinante." Une ferveur qui se trouve dûment solennisée et ritualisée.

Les anciens dieux pourtant n'étaient pas toujours irréprochables. Il arrive de même que les sportifs se mettent en défaut, et la différence entre une simple ruse qui se joue des règles et la triche qui la transgresse est ténue. En fait si tricher peut faire partie du jeu, la tricherie n'existe que si elle est repérée.

Le chemin le plus court pour augmenter sa force est bien sûr d'absorber, légalement ou non, une substance qui développe ses capacités physiques. Patrick Laure évoque ces athlètes qui, dans la Grèce antique, pouvaient manger jusqu'à 10 kg de viande par jour : du taureau pour les boxeurs, de la chèvre pour les sauteurs ou du porc pour les lutteurs… Certains ont recours au ginseng, la "racine de vie", à la gelée royale et à certains compléments alimentaires, à la caféine ou à l'alcool. Le "doping naturel" propose sucres, œufs, vitamines, levures, éventuellement par injection, sans oublier l'effet placebo que certains produits peuvent susciter.

Les sportifs peuvent aussi faire appel à des traitements à fins thérapeutiques ou pour compenser un déficit de l'organisme. Une astuce aurait aussi consisté pour les femmes à avoir recours à des grossesses provoquées et interrompues pour bénéficier des effets de certaines hormones. En tout état de cause, tenter de "réparer" un corps pour atteindre certaines performances ne saurait viser l'équilibre de la personne. Sa soi-disant supériorité selon un critère prédéterminé ne peut se faire qu'au détriment de tous les autres.

Tous dopés ?

La plupart des sportifs dopés finiront comme des déchets humains à tous points de vue.
Jean Boissier, déclaration à la chaire de pharmacologie de Paris, 1963

C'est là qu'intervient le dopage, avec toutes les ambigüités que cela suppose. Peut-on définir ce dopage et en fixer les limites ? Patrick Laure s'interroge : "Comment expliquer que tout étudiant, conducteur d'engin, cadre d'entreprise, amant et plus généralement tout citoyen, peut absorber n'importe quelle substance dans le but avoué de "tenir le coup" sans qu'on parle de dopage ?" Les artistes ou les hommes politiques suspectés d'agressions sexuelles sont mis au pilori, mais ne sont soumis à aucun contrôle ni pénalité lorsqu'ils font appel à des produits prohibés. Certains peuvent même le revendiquer ouvertement.

Le dopage a été officiellement défini en 1965 : "Est considéré comme doping l'utilisation de substances et de tous moyens destinés à augmenter artificiellement le rendement, en vue, ou à l'occasion de la compétition et qui peut porter préjudice à l'éthique sportive et à l'intégrité physique, psychique de l'athlète." Une pratique qui confine à la toxicomanie. On peut la faire remonter à l'antiquité. À Rome on reniflait l'haleine des compétiteurs à l'entrée des stades pour détecter l'alcool. Mais c'est au XIXème siècle que l'usage s'en est répandu et, les progrès de la science et la croissance des enjeux financiers aidant, il n'a cessé de se perfectionner. Les techniques de détection s'affinent en conséquence, tandis que la liste des produits interdits continue de s'allonger.

Les "bienfaits" du dopage sont compensés par les risques qu'il fait prendre. La première mort qui lui soit imputable remonte à 1896. Le sport de haut niveau par ailleurs, et la pratique intense et exclusive d'une seule discipline ne sauraient être inoffensifs. Toute pratique sportive comporte sa part de danger. Ne pourrait-on pas finalement considérer les produits dopants comme de simples outils, à l'exemple d'une tronçonneuse qu'il faut savoir utiliser avec précaution et discernement ?

Livres

. Philippe TÉTART, Histoire du sport en France - De la Libération à nos jours, Vuibert, 2007
. Thierry FERRET, Histoire du sport, PUF, 2007
. Norbert ELIAS, Sport et civilisation : la violence maîtrisée, Fayard, 1994
. Patrick LAURE, Le Dopage, PUF, 1995
. Georges VIGARELLO, Du jeu ancien au show sportif - La naissance d'un mythe, Seuil, 2002
. Patrick KARAM, Magali LACROZE, Le Livre noir du sport , Plon, 2020

FILMS

. Alex GIBNEY, Le mensonge Amstrong, 2013
. Andréa SEDLACKOVA, Sur la ligne, 2015
. Bennett MILLER, Le Stratège, 2011
. Bennett MILLER, Foxcatcher, 2014
. Alexis DURAND-BRAULT, La petite Reine, 2014
. Jake SZYMANSKI, Tour de Pharmacy, 2020
. Xavier DELEU, Plus vite, plus haut, plus dopés, 2016
. Bryan FOGEL, Icare, 1917
. Robert WISE, Nous avons gagné ce soir, 1949