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contes de la mer

mardi 29 mars, 20h15 : Film
Les Bêtes du sud sauvage (USA, 92 min.) de Benh Zeitlin, avec présentation et débat en présence de Louis Mathieu et de Philippe Grosbois

Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95

Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,60 €, réduit 6 €, carnets 5,25 € ou 4,65€

jeudi 31 mars, 18h30 : Conférence
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un road movie : itinérances et parcours initiatiques dans les contes et légendes, d’ici et d’ailleurs, par Geoffrey Ratouis, docteur en histoire, spécialisé en histoire culturelle

Des errances d’Ulysse cherchant en vain le chemin du retour vers Ithaque à la geste de Gilgamesh, des voyages de Simbad le marin aux pérégrinations du roi des singes, les contes et légendes nous ouvrent les portes de l’aventure vers des mondes fabuleux et bien souvent inexplorés. Mais le trésor que l’on cherche n’est pas toujours celui que l’on croit. Et si au bout du chemin, il n’y avait que la découverte de soi-même ?
Institut Municipal, place Saint-Eloi, Angers
Gratuit

vendredi 1er avril, 20-22h : Atelier d'écriture créative : écrire aujourd'hui à partir des contes d'antan.
Bienvenue dans un univers mouvant : célébration de l’eau et des océans, animé par Schéhérazade (Véronique Vary)

C'est le dégel des glaciers. L'annonce du printemps. L'entrée dans un univers mouvant : la célébration de l'élément eau. L'été approche. Venez donc avec Pinocchio dans le ventre de la Baleine conter vos souvenirs de voyage dans le liquide amniotique, d'histoires de corsaires, de plage abandonnée coquillages et crustacées ou de monstres nocturnes aquatiques.
Association Cinélégende, 51 rue Desjardins, Angers


Ouvert à tous : novices ou plus expérimentés
7 € ( réduit 5 €)  - révervation : varyveronique@hotmail.com, 02 41 86 70 80

Voir les textes produits au cours de cet atelier

mardi 5 avril, 13h30 : Film
Le Cheval venu de la mer (Irlande, USA, Grande-Bretagne, 97 min.) de Mike Newell

Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
à partir de 7 ans
Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,60 €, réduit 6 €, carnets 5,25 € ou 4,65€ - tarif groupes : 3,80 €

vendredi 8 avril, 19h15 : Film
Le Chant de la mer (Irlande, 93 min.) de Tomm Moore, projection précédée de la visite de la nouvelle scénographie du Mystère des Faluns, et d'un cocktail (sans alcool, avec amuse-gueules - on peut apporter de quoi se restaurer)

Le Mystère des Faluns, 7, rue d'Anjou, Doué-la-Fontaine : Le site des Perrières
à partir de 5 ans
Entrée : 5 €, moins de 11 ans, gratuit  Réservations : 02 41 59 71 29 - l.aubineau@ville-douelafontaine.fr>

samedi 9 avril, 15h30 (enfants), 20h (tout public) : Personnages mythiques de la mer par Les Conteurs de la Jabotée
Sous le sable, au creux des coquillages, au fond des grottes, dans l'écume des vagues , vivent des êtres féeriques et merveilleux, tout un monde extraordinaire que nous sommes loin d'imaginer. Avec les conteurs de la Jabotée vous allez partir pour un grand voyage à la découverte de ce monde et pénétrer dans le mystère des Océans.
Maison de quartier "Angers centre", 12, rue Thiers, Angers

à partir de 6 ans
4,50 €, moins de 12 ans : gratuit

samedi 16 avril, 19h : Ecrire aujourd'hui à partir des contes d'antan
Lecture publique par Jocelyne Renou et Chantal Wasselin-Le Meur, de l'association Ecclats, des textes écrits en atelier. Animée par Schéhérazade / Véronique Vary. Invité : le musicien de jazz Sacha Gardèr.
Maison de quartier "Angers centre", 12, rue Thiers, Angers

Gratuit. Ouvert à tous. Sans réservation.

 

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Commentaires

Textes de Philippe Parrain

Il était une fois une petite Hushpuppy qui voyait des aurochs émerger des eaux troubles du bayou. Il était une fois deux gamins qu'un cheval magique emporta, à travers l'Irlande, jusqu'à la mer…

Les enfants préservent une grande familiarité avec les choses de la vie ; ils restent proches de la nature et savent écouter les animaux, comprendre ce qu'ils ont à nous dire.

Les contes entretiennent volontiers ce dialogue entre des êtres simples et spontanés. Nous avons vu le grillon et la poule conseiller Pinocchio, et le corbeau et l'écureuil veiller sur l'oncle Billy dans La Vie est belle. Mais il y a aussi le Chat et le Renard qui harcèlent le pauvre pantin, et le grand méchant loup qui guette le Chaperon rouge… Car le conte est récit, mise à l'épreuve, chemin d'apprentissage ; il implique pour arriver au but le passage par des situations difficiles ou douloureuses.

Quelle que soit leur attente (le royaume, la domination, la richesse, l'amour ou la simple reconnaissance par l'autre de sa propre valeur), les héros de contes doivent affronter leurs adversaires, la société, les aléas de la vie… C'est de toute façon à la simple réalisation d'eux-mêmes qu'ils aspirent : un accomplissement qui, ici, passe par la quête de la mère des origines et qui se résout dans la plénitude d'une immersion symbolique qui permet un nouveau départ.

Les Bêtes du sud sauvage

Hushpuppy
Il s'agit du premier film de son réalisateur qui, à la suite du cataclysme écologique et social déclenché par l'ouragan Katrina, s'est installé en Louisiane pour le réaliser contre vents et marées. Il fait appel à des acteurs non professionnels, recrutés sur place, qui participent à l'élaboration du récit. L'écriture du film - enchevêtrement des séquences, caméra fébrile, plans courts et très serrés qui ne montrent que des fragments de réalité, montage heurté - rend parfaitement compte de l'extrême confusion dans laquelle baignent les personnages.

Par-delà images documentaires et visions fantasmagoriques, la voix off - un soliloque dans le style des films de Malick - nous fait partager l'imaginaire de la fillette : son intimité avec les choses, la beauté sinistrée du bayou, la misère partagée, et aussi la prescience des catastrophes à venir. À travers elle, le film exalte avec lyrisme la dignité et la capacité de résistance de ceux qui continuent à vivre en ces lieux inhospitaliers.

Le film s'est vu distingué, entre autres, par les oscars 2013 du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur scénario adapté et surtout celui de la meilleure actrice pour la petite Quvenzhané Wallis, âgée de 6 ans au moment du tournage.

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Le Cheval venu de la mer

Tito et Ossie

Le film en appelle à la fois au réalisme et au merveilleux. Il s'ancre dans un contexte particulièrement dur : déchéance sociale, maladie, problèmes psychologiques… Mais ce sont les rêves des personnages qui l'animent en s'incarnant sous nos yeux. Et la relation intime qui se tisse entre les deux garçons et le cheval s'accompagne d'une réflexion sur l'enfance, les liens familiaux, l'identité, la mort…

C'est la légende qui nourrit le récit. Celle du western pour commencer, avec cette longue chevauchée vers l'Ouest. Celle de l'imaginaire irlandais, surtout, que fait vivre le grand-père en racontant l'histoire de Tír na nÓg, la " Terre de l'éternelle jeunesse ", cette île de l'extrême ouest où le temps est aboli et où l'on n'accède qu'au terme d'un long et périlleux voyage.

Cette folle équipée en quête de la mère disparue se révèle véritablement initiatique, tant pour le père que pour les enfants. Elle leur rendra le goût de la vie, elle leur permettra de grandir.

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thèmes mytho-légendaires des films

Il était une fois une jeune fille qui devint orpheline de père et de mère quand elle était encore toute petite…
Les frères Grimm, Fuseau, navette et aiguille

Il est remarquable de constater que les héros de notre cycle « Contes d’antan et de tous temps » sont tous en mal de parenté. Le vilain petit canard est projeté dans une famille qui n’est vraiment pas la sienne ; Wadjda voit s’éloigner son père, tandis que celui des enfants loups disparaît et que celui de George dans La Vie est belle meurt en laissant à son fils l’obligation de le remplacer  ; la Belle est orpheline de mère et soumise à ses sœurs  ; si l’on peut considérer que Pinocchio a un « père », il reste en manque de mère, tout comme ici la petite Hushpuppy, les frères Ossie et Tito, ou encore, dans Le Chant de la mer, Ben et Maïna qui sont tous filles et fils de pères déboussolés, mal dans leurs peaux, orphelins de cette mère dont l’absence leur pèse cruellement.

Le chaos originel

- Un jour, la tempête va souffler, le sol va s’enfoncer, et l’eau va monter tellement haut qu’il n’y aura plus de Bassin. Juste tout plein d’eau…
- La tempête arrive !
L’institutrice, puis un enfant dans Les Bêtes du sud sauvage

La cabane de Hushpuppy et de son père
Le vent qui souffle sur un paysage incohérent, un improbable taudis brinquebalant dans lequel une lumière s’allume, une main qui modèle la glaise, un oiseau qui semble venir à la vie… Ce n’est qu’au début du film que se profile petit à petit, et d’abord en position de démiurge, le personnage de Hushpuppy… Les premières images des Bêtes du sud sauvage évoquent un monde en gestation qui émerge peu à peu du néant ; elles semblent répéter le texte de la Genèse, les sept jours de la Création : « Le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux […] "Que la lumière soit." […] Dieu appela la terre ferme "terre" […] "Que les oiseaux volent au-dessus de la terre" […] Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce. […] "Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages." »

Le cheval venu de la mer
De la même façon le cheval qui vient de la mer émerge des temps mythiques, lorsqu’« il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et [que] l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux  ». Le grand-père, l’"ancien", accompagne l’animal vers le monde des hommes jusqu’à ce que le survol de l’avion inscrive franchement le récit dans la modernité.

Ce n’est pas d’un monde apaisé que témoignent ces deux films : la vie de Hushpuppy est un ramassis de bric et de broc où la longue agonie du père et le délabrement du Bassin préludent à un cataclysme imminent ; la vie des nomades est instabilité et précarité, tandis que celle des sédentarisés est bien pire encore avec les magouilles de Papa Riley, la déchéance sociale et morale ou les misérables immeubles aux ascenseurs pourris et aux cloisons en carton-pâte. L’alcool n’est qu’une façon de nier la réalité pour des pères à la fois en conflit latent et en grande complicité avec leurs enfants. Tous ces personnages sont résolument sans attaches   ils se trouvent menacés d’expulsion, « sommés d’évacuer », rejetés en marge de la civilisation, de la société et même de leur propre communauté.

La passion du western
Ils n’en sont pas moins, les uns et les autres, portés par leurs rêves. Tandis que le père de Hushpuppy dénigre le monde civilisé par-delà la digue (« C’est moche, hein ? Nous, on vit dans l’endroit le plus beau du monde ! »), Tito et Ossie galopent à bride abattue vers un Far West imaginaire (même s’ils n’ont pas encore quitté la banlieue de Dublin). Et c’est dans l’étourdissement de la fête que Hushpuppy et son père participent à la liesse générale, ou dans la danse que Papa Riley reprend pied parmi les siens.

Comme un petit lutin qui se faufile partout, Hushpuppy déchiffre les secrets de la nature, écoute battre le cœur des animaux et fraternise avec eux. C’est à la fois pour elle et pour toutes les bêtes qui traînent par là que son père appelle « À table ! ». Elle décode la loi universelle selon laquelle il faut manger et être mangé : « Tous les animaux sont faits de chair. Je suis de la chair. Vous êtes tous de la chair […] Faut apprendre à survivre maintenant. » Elle témoigne surtout de la dégénérescence d’un monde qui part à vau l’eau, s’embourbe ou est pris de folie : un monde à la dérive jonché de cadavres d’animaux ; des paysages de boue ou d’arbres squelettiques, un mélange indéfini d’eau, de terre, de cahutes de fortune et de matériaux de récupération. Avec la montée du niveau des mers l’engloutissement du territoire est déjà d’actualité. La mort rode à la façon de ces terribles aurochs qui, surgis de la nuit des temps, « n’ont pas de pitié, qui mangent leur maman et leur papa »…

Itinérance

Tout à coup s’éleva un tourbillon violent qui les emporta toutes deux. Alexandre Afanassiev, Contes populaires russes

Le radeau du père de Hushpuppy
Les occupants du Bassin font l’objet d’injonctions leur demandant de rentrer dans l’ordre, de rejoindre un monde policé, « là où c’est tout sec » : l’autre côté de la digue, et incidemment l’hôpital dont ils s’évadent comme Pinocchio fuyait l’école. École que Tito et Ossie n’ont guère envie, eux non plus, de fréquenter, même si leur père leur demande, sans trop y croire : « Apprenez à lire et à écrire ! » L’urgence pour eux tous est de refuser les contraintes de la réalité, de partir, en radeau ou à cheval, en errance, en quête d’eux-mêmes.

Il s’agit donc d’une thématique du passage, un passage par l’eau, et à travers l’eau, vers un ailleurs. Tel Noé après la tourmente, le père sort Hushpuppy et le chien par le toit de la maison inondée, et ils partent sur leur rafiot découvrir ce qui subsiste de l’ancien monde sinistré. Plus tard, symboliquement revêtue de la robe blanche immaculée de l’hôpital et suivie par les autres enfants, la fillette s’élance vers la mer et y plonge pour aborder sur un bateau dont le capitaine pourrait bien être le passeur Charon (« Ce bateau t’amènera là où tu dois être. C’est ce genre de bateau »). Celui-ci les mène vers un lieu de plaisirs, la boîte de nuit Elysian Fields, qui alors représenterait les Îles Fortunées, ces Champs Elyséens où, selon Homère, « la plus douce vie est offerte aux humains ».

Tír na nÓg
C’est justement vers ces îles - les Îles des Bienheureux de la tradition celte cette fois-ci -, vers la « Terre de l’éternelle jeunesse » que retourne Tír na nÓg : une monture psychopompe qui entraîne les enfants vers l’au-delà (un cheval aussi blanc que Le Magnifique, qui conduisait Belle jusqu’au château de la Bête…) ; un cheval aussi intimement lié à la mer que l’était celui dont Poséidon fit don aux Athéniens, ou de celui qui, dans l’épopée kirghiz d’Er-Töshtük, affirme : « Je puis marcher dans les eaux profondes ». Sa blancheur l’apparente, comme chez les anciens Celtes, aux êtres de l’autre monde ; né de la nuit, il est en même temps un cheval solaire qui se dirige d’est en ouest pour aller s’y jeter dans la mer. Il est avant tout un animal merveilleux, doté de pouvoirs extraordinaires, qui répond d’emblée à l’attente d’Ossie, connaît la voie à suivre et sait se rendre propices les éléments : détecter la cascade derrière laquelle il se réfugie avec les enfants ou bien inciter la fille providentielle à ouvrir la porte pour les laisser passer juste à temps à travers la maison.

Tito et Ossie, en manque de leur mère, abandonnent leur père. Après avoir mis le feu, Hushpuppy « fiche le camp, comme maman ! » et du même coup, tandis que l’orage gronde, « tue » le sien. Aussitôt tout est cassé, tout s’écroule ; le dégel va réveiller les aurochs encore prisonniers des glaciers. Les bêtes dans les deux films témoignent d’une énergie primitive qui emporte les personnages : les forces incontrôlables de la nature, le sursaut de l’énergie animale.

Le surgissement de la bête

L’homme est environné de créatures invisibles qui le forcent à aborder avec humilité et respect la nature.
Jérémie Benoît, Les Origines mythologiques des contes de Grimm

Une croyance, qui paraît ancrée dans la mémoire de tous les peuples, associe originellement le cheval aux ténèbres du monde chtonien, qu’il surgisse […] des entrailles de la terre ou des abysses de la mer. Fils de la nuit et du mystère, ce cheval archétypal est porteur à la fois de mort et de vie, lié au feu, destructeur et triomphateur, et à l'eau, nourricière et asphyxiante.
Jean Chevalier, Paul Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles

Les aurochs
Le rôle dans les contes des animaux magiques, qu’ils soient secourables ou menaçants, est déterminant. Les aurochs, que l’on distingue au travers de la blancheur de la glace arctique et qui, à la façon du démon sanglier de Princesse Mononoké, déferlent et détruisent tout sur leur passage, sont pour Hushpuppy un signe terrifiant, porteur d’angoisse, tandis que, pour Tito et Ossie, le cheval blanc qui surgit de la mer nocturne devient un guide, et pourquoi pas un animal totémique envoyé par leur mère pour leur rappeler leur appartenance au peuple nomade. Il les entraîne malgré eux vers l’objet de leur désir intime : pas question pour lui de faire demi-tour, même lorsque les enfants le lui demandent.

Selon Propp, le don du cheval perpétue dans les contes russes l’ancienne tradition selon laquelle la baba Yaga - sorcière et initiatrice, gardienne du royaume des morts - faisait cadeau au héros d’un animal de la forêt : une aide dont le bénéfice sera justifié par les épreuves initiatiques à venir. Avec l’instauration du stade paternaliste, ce furent les ancêtres décédés, essentiellement masculins, qui devinrent les nouveaux donateurs. Or le père, dans nos films, s’avère défaillant. C’est donc à leurs mères que les enfants vont demander secours : Tito et Ossie se rendent sur la tombe de la leur, tandis que Hushpuppy guette la sienne par delà l’océan. C’est pareillement grâce à sa mère disparue - à laquelle Perrault substitue sa marraine - que Cendrillon pourra se rendre au bal et épouser le prince.

La dame de la mer

La mer est pour tous les hommes l’un des plus grands, des plus constants symboles maternels.
Marie Bonaparte, Edgar Poe, étude psychanalytique

La mère de l'amour eut la mer pour berceau…
Pierre de Marbeuf, À Philis

La fusion dans la mer de Hushpuppy
Le véritable rêve qui entraîne nos petits héros est donc la quête de la mère, laquelle se confond avec un cheminement vers la mer féconde et nourricière (celle qui procure tous les poissons et crustacés dont se nourrissent les habitants du bassin) : le retour au ventre maternel ; une fois le corps de son père confié au flot marin, la fusion dans un très grand univers dont elle est un petit morceau, pour Hushpuppy ; et, pour Ossie, l’immersion dans les eaux au creux desquelles la présence spectrale de sa mère lui permet de renaître à la vie : lorsque les mots mère (en danois mor), mer (en breton mor), amour (en latin amor) et mort viennent phonétiquement se confondre...

Ce personnage absent est continuellement présent à l’esprit des enfants. Un dialogue s’établit entre eux. Rabrouée par son père, Hushpuppy met le feu à la cabane et se réfugie sous un carton sur lequel elle dessine le visage de sa mère… À noter qu’il est précisé dans deux des films de notre cycle (Wadjda et Le Cheval venu de la mer) que la mère des fillettes est morte ou a failli mourir en les mettant au monde. Hushpuppy peut également se sentir responsable, coupable de la disparition de la sienne à sa naissance : « Papa dit que dès qu’elle m’a regardée, son cœur a battu si fort qu’elle croyait qu’il allait exploser. Alors elle est partie à la nage. » Pinocchio aussi se reprochait la mort de la bonne fée, substitut de sa mère, dont les conseils annonçaient les mots que la douce voix maternelle adresse à Hushpuppy : « Tu es sage comme je t’ai appris ? »

Consolation
C’est en parvenant aux Elysian Fields que la fillette retrouve, dans les bras de la jeune femme qui l’accueille et la ramène au moment de sa naissance, la tendresse qui lui a tant manqué : « Je peux compter les fois où on m’a portée… Je peux les compter sur deux doigts… » Moment clef du film où, après s’être littéralement jetée à l’eau, elle va revenir auprès des siens pour prendre soin d’eux, et surtout se résigner à la mort de son père et trouver sa juste place dans le vaste univers.

Apaisement

Le grand rêve obsédant de s’étendre dans l’eau comme une prairie, dans une prairie sous-marine. "Dormir dans la mer", comme dit Eluard. "Dormir dans la mort ?"
Julien Gracq, Un beau Ténébreux

Tito et Ossie
À l’écoute des mystères de la vie, Hushpuppy pénètre la finalité des choses : « Le monde tout entier marche bien quand tout est à sa place. Si un morceau se casse, même un tout petit morceau, tout l’univers se cassera. » À la fin du film, elle recolle les morceaux. : « Et alors, tout va bien. » Se retournant pour leur faire face, elle est parvenue à se concilier les aurochs qui s’agenouillent devant elle, de la même façon que Mononoké faisait alliance avec le grand sanglier blanc. Le visage de son père est alors filmé en gros plan, à la manière du mufle d’un de ces animaux. Réussissant enfin à pleurer en sa compagnie, elle se réconcilie en quelque sorte avec lui au moment de sa mort ; elle livrera son corps à l’immensité des flots et aux flammes, avant de se fondre, entourée de ses proches, dans la mer et d’atteindre une certaine sérénité.

Papa Riley s’interroge : « Où est-ce que ce cheval m’emmène ? Pourquoi il me ramène sur les lieux du passé ? » C’est devant la tombe de Mary qu’il retrouve son beau-père venu là pour célébrer son anniversaire : tel est le point de convergence de leurs itinéraires qui donne accès à la mer. Ce sera alors le baptême dans l’eau profonde qui réunira enfin Ossie, son père et sa mère, et puis l’ultime purification par le feu qui permettra à cette dernière d’accéder à la délivrance, au repos éternel.

L'ambrasement de la roulotte de la mère
C’est une fois encore le cheval qui accompagne son passage dans l’au-delà. En même temps, la communauté se ressoude ; Papa Riley, avec ses enfants, va rejoindre le monde des bohémiens. Car si la mère défunte avait envoyé le cheval auprès des siens, ce n’était pas tant pour gagner son paradis que pour aider ceux qui lui survivent à se passer de sa présence et à retrouver leur juste place, à assumer leur destin. Le véritable but des rites funéraires n’est-il pas d’empêcher le retour des morts, de rendre leur départ définitif et ainsi de permettre à la vie de poursuivre son cours ?

Les deux films nous racontent bien la même histoire, celle d’une itinérance, d’une recherche. Saintyves nous rappelle que le fondement de l’initiation est de « savoir retrouver son chemin. […] se débrouiller au milieu d’un désert ou d’une forêt, loin de tous sentiers tracés ». C’est bien ainsi que nos petits héros progressent jusqu’à parvenir à la mer.

Le final de Dead Man de Jim Jarmusch
Au terme du parcours, le voyage s’arrête : la roulotte de la mère est brûlée sur la plage, de même que le bateau du père sur l’eau. On reconnaît là la coutume selon laquelle, en Océanie, ou bien chez les Scandinaves, les barques, auxquelles on met parfois le feu, peuvent servir de sépulture. On se souvient aussi de l’image sur laquelle se conclut le film Dead Man.

Le refuge dans Les Bêtes du sud Sauvage

Mais il s’agit toujours d’un pas vers l’avenir. Les rescapés du bayou n’édifiaient-ils pas, à l’exemple de Noé, une « arche » incroyable, où ils recueillaient animaux et plantes en prévision d’un grand voyage au-dessus des eaux ? Et, du passé au futur, Hushpuppy écrit l’histoire de l’humanité : « Je dessine mon histoire pour les savants du futur. » Il ne faut pas oublier non plus la légende de Oisín qui, ayant séjourné au pays de l'éternelle jeunesse, doit rejeter toute nostalgie du monde des hommes, et surtout ne jamais reposer le pied à terre si jamais il lui arrive d’y retourner.

Walter Crane, Les Chevaux de Neptune


La mer maternelle

Toute existence vient de la mer, et toute existence y retourne. Le flux et le reflux, en leur incessant mouvement sur eux-mêmes, apportent et emportent toutes sortes d’êtres et de formes aux destinées multiples. À la fois sublime et terrible, affectueuse et dévorante, la mer est une figure de la mère universelle.

Eaux de vie

Nous, petits poissons, nous naissons dans l’eau.
Tertullien, Du baptême

Des Sumériens aux Hébreux, des Hindous aux Indiens d’Amérique, des Africains aux Germains, innombrables sont les traditions qui affirment qu’au début de la Création « toute la terre était mer ». C’est de cette immensité humide qu’a émergé tout ce que nous connaissons et l’humanité elle-même. Les théories de l’évolution ne disent pas autre chose, qui montrent la lente progression des espèces hors des eaux originelles, à l’assaut d’une terre encore incertaine, et qui font dériver toute vie d’espèces aquatiques. C’est en fait davantage de la macération des marais que de la mer que la vie semble avoir émané. Mais il s'agit toujours de cette même image du globe terrestre enveloppé par des eaux prêtes à enfanter tout ce qu'elles brassent en elles et dont le souvenir, la fonction et pour ainsi dire la composition chimique se sont réfugiés dans le liquide amniotique d’où nous avons émergé et dans les diverses humeurs qui irriguent notre corps.

Notre conscience elle-même est ancrée dans cette image qui règne sur notre subconscient. Kerényi peut, lui aussi, noter, dans le sillage de Jung, que « tout ce qui vit vient de la mer », et parler de « la qualité de la mer de porter et mettre au monde des enfants ». Nés de la mer, nous ne cessons d’être fascinés en la contemplant. Elle apparaît comme une manifestation de la Grande Mère.

Sandro Botticelli, La Naissance de Vénus
Elle est peuplée d’une multitude d’êtres en partie humains : sirènes, tritons, morganes... Entre autres divinités, Vénus est née de l’écume de la mer comme, en Inde, Lakshmi a surgi du barattage de la mer de lait. Le dieu polynésien Maui parle ainsi de sa naissance : « Les algues me formèrent et me donnèrent mon aspect. Les vagues qui se brisent m’enveloppèrent dans le fouillis de varechs et me roulèrent d’un côté sur l’autre ; finalement les vents qui glissent sur les eaux me portèrent de nouveau à terre… » Et, de Persée à Moïse, le thème est récurrent, du nouveau-né porté sur les eaux dans une nacelle.

Engloutissement

Disparaître dans l’eau profonde ou disparaître dans un horizon lointain, s’associer à la profondeur ou à l’infinité, tel est le destin humain qui prend son image dans le destin des eaux.
Gaston Bachelard, L’Eau et les rêves

Alexandre Litovchenko, Charon
Mais la mer réclame son dû. Celui qui fut apporté par la vague s’en repart dans la barque de nuit, le sinistre bag-noz de l’Ankou qui conduit les Bretons décédés vers l’au-delà. À moins qu’avec le héros irlandais Bran il n’aborde, au terme de son errance, au Mag-Meld, le « Pays aux champs aimables », le refuge des bienheureux où règnent printemps et paix éternels. Ce séjour béni propulse les navigateurs hors du temps et de l’espace. Et si jamais il leur prend l’envie de regagner la terre ferme, il leur est interdit d'y poser le pied : comme s’ils avaient voyagé aux limites de la vitesse de la lumière, le temps s’y est écoulé sans aucun rapport avec la durée vécue, nul ne se souvient d’eux et celui qui se risque à débarquer disparaît aussitôt, réduit en cendres. Il ne reste plus à Bran qu’à remettre le cap sur le large, non sans avoir légué au monde le témoignage de ses pérégrinations, et à poursuivre indéfiniment son périple sur les flots marins.

Pourtant cet ultime voyage peut aussi être celui de la révélation. Car, par-delà l’épreuve, toute initiation implique un retour, une renaissance au monde. Pinocchio, comme Jonas, se libère de la baleine. Noé survit au Déluge et gratifie l’humanité d’un nouveau départ, d’une véritable renaissance. Contrairement à Moby Dick, le monstre aveugle qu’il faut harponner, le ventre de la baleine recèle, si l’on en croit Paracelse, d'« énormes mystères » : « Une perle était suspendue dans les entrailles du poisson ; elle donnait à Jonas de la lumière comme le soleil à midi, lui permettant de tout voir dans la mer et dans l'abîme. »

Livres

. Vladimir PROPP, Les Racines historiques du conte merveilleux, Gallimard, 2000
. Nicole BELMONT, Poétique du conte (Essai sur le conte de tradition orale), Gallimard, 1999
. Marie-Louise VON FRANZ, L’Interprétation des contes de fées, Albin Michel, 1995
. Pierre SAINTYVES, Les Contes de Perrault et les récits parallèles, Robert Laffont, 1987
. C.G. JUNG, Charles KERÉNYI, Introduction à l’essence de la mythologie, Payot, 1941

Films

. Carroll BALLARD, L'étalon noir, 1979
. Hayao MIYAZAKI, Ponyo sur la falaise, 2008
. Naomi KAWASE, Still the water, 2014
. Jean GRÉMILLON, Remorques, 1941
. John HUSTON, Moby Dick, 1956
. Emanuele CRIALESE, Respiro, 2002
. Jean EPSTEIN, Finis Terrae, 1929
. Alejandro AMENÁBAR, Mar adentro, 2005

Programme 2015/16

    les bêtes du sud sauvage

    USA  - 2012 - 92 minutes - couleurs - VO

    Réalisation : Benh Zeitlin
    Scénario : Lucy Alibar et Benh Zeitlin, d'après la pièce Juicy and Delicious de Lucy Alibar
    Image : Ben Richarson
    Musique : Dan Romer et Benh Zeitlin
    Interprètes : Quvenzhané Wallis (Hushpuppy), Dwight Henry (le père de Hushpuppy), Levy Easterly (Jean Battiste), Lowell Landes (Walrus)

    SUJET
    La Louisiane : Hushpuppy, une fillette de six ans, vit dans le bayou avec un père fantasque, dans une cabane délabrée. Brusquement, la nature s'emballe, mettant en péril leurs vies déjà précaires. La température monte, les glaciers fondent, libérant une armée d'aurochs. Ils partent au fil de l'eau et au gré des rencontres. Hushpuppy est en quête de sa mère disparue, tandis que la santé de son père décline…

    le cheval venu de la mer (Into the west)

    Irlande, USA, Grande-Bretagne - 1992 - 97 minutes - couleurs - VF

    Réalisation : Mike Newell
    Scénario : Jim Sheridan, d'après Michael Pierce
    Image : Newton Thomas Sigel
    Musique : Patrick Doyle

    Interprètes : Ciaran Fitzgerald (Ossie), Ruaidhri Conroy (Tito), Gabriel Byrne (le père), Ellen Barkin (Kathleen), David Kelly (le grand-père)


    SUJET

    Ossie et Tito sont les fils d'un nomade qui, incapable d'accepter le décès de sa femme, s'est sédentarisé à Dublin. Ils voient un jour leur grand-père revenir, accompagné d'un superbe cheval blanc qui a émergé de la mer. Ils adoptent l'animal qui s'attache à eux, mais on le leur enlève de force. Le cheval s'échappe et prend la fuite avec les deux enfants. Ils sont poursuivis par la police et par leur père. C'est ainsi que, hantés par l'absence de leur mère, ils traversent l'Irlande, jusqu'à la mer, tout à l'ouest.

    le chant de la mer

    Irlande, France - 2014 - 93 minutes - animation - couleurs – VF

    Réalisation : Tomm Moore
    Scénario : Will Collins
    DIRECTION ARTISTIQUE Adrien Mérigeau
    MUSIQUE Bruno Coulais

    SUJET
    Ben et Maïna vivent avec leur père sur une petite île, dans un phare. Leur mère, une selkie, une fée de la mer, les a quittés en regagnant la mer, métamorphosée en phoque. Leur grand-mère les emmène vivre à la ville, mais ils s’échappent. Ben découvre alors que sa petite sœur est elle-même une selkie dont le chant peut délivrer les êtres magiques auxquels Macha, la Sorcière aux hiboux, a jeté un sort. Ben va devoir affronter peurs et dangers afin que Maïna puisse aider tout le petit peuple à reprendre vie.

    COMMENTAIRE
    Ce film, qui pourrait être vu comme une résurgence de ceux de Miyazaki en pays celte, est un véritable enchantement visuel et sonore. Il évoque un monde de mythes et de légendes qui s’épanouissent sur l’écran en même temps que cette merveilleuse chanson, confiée à Ben par sa mère, réinsuffle la vie à ces esprits pétrifiés qui s’étaient vus dépouillés de toutes leurs émotions.

    Sœurs des sirènes, de Mélusine et de bien d’autres créatures imaginaires dotées d’une double nature, les selkies sont, dans le folklore irlandais, de superbes jeunes filles qui, revêtant une peau de phoque, résident au fond de la mer. À demi humaine, comme l’étaient les Enfants loups, Maïna se trouve confrontée à un choix de vie : demeurer auprès de son père et de son frère, ou bien rejoindre le monde féerique de la mer.

    Comme dans Le Cheval venu de la mer, également imprégné de légendaire irlandais, nos deux petits héros, entraînés par leur chien, suivent une errance qui les mène jusqu’à la mer. Délaissés par un père désenchanté, ils sont en quête d’une mère disparue qu’évoque au passage une image de la Vierge.

    Au terme du chemin, ils retrouvent leur maison et le réconfort familial. Ils se réconcilient surtout entre eux et avec eux-mêmes : ils fusionnent dans l’harmonie universelle. Le réalisateur Tomm Moore souligne ce besoin cosmique de réunification : « J’aime l’idée qu’en français "mer" et "mère" se prononcent de la même façon.»