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le mythe américain : l'amérique des origines, le mythe du nouveau monde

Dans le cadre de la Fête de la Science, et avec la participation du CRILA (Centre de Recherche Interdisciplinaire en Langue Anglaise) de l'Université d'Angers, et de la Médiathèque Municipale.

du mardi 11 au mercredi 19 octobre 2011

mardi 11 octobre , 20h15 : Film
Le Nouveau Monde (USA, 136 min.) de Terrence Malick, avec présentation et débat en présence de Lauric Guillaud.

Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95

Tarifs habituels aux 400 Coups : 7,30 €, réduit 5,90 €, carnets 5 € ou 4,40 €

mercredi 12 octobre, 18h : Film
Rêves
(Japon, 117 min.) d'Akira Kurosawa, avec présentation et débat animé par Nuscia Aude Taïbi, maîtresse de conférences en géographie à l'Université d'Angers (UMR ESO).

Maison des Sciences Humaines, 5bis bd Lavoisier (Belle Beille), Angers    (voir le plan)
Gratuit

jeudi 13 octobre, 18h30 : Conférence
L’Amérique des origines – Le mythe du nouveau monde, par Lauric Guillaud, professeur au département d'anglais de l'Université d'Angers, auteur de livres sur la littérature et l'imaginaire américains, directeur du CERLI (Centre d'Etudes et de Recherches sur les Littératures de l'Imaginaire)

La découverte du Nouveau Monde en 1492 répondait à une attente inconsciente, intimement ancrée dans les aspirations de l’Ancien Monde. C’était la réalisation concrète d’un mythe qui avait fleuri depuis l’Antiquité jusqu’à l’aube de la Renaissance : l’existence d’une terre paradisiaque par delà les mers, un monde d’innocence, une nature virginale et déifiée. Mais dès le début, le rêve fut brisé ; on entreprit de « civiliser » ces peuples que l’on avait idéalisés ; on remodela ces paysages idylliques ; on posa sur des bases rationnelles les fondations d’un monde nouveau.
Institut Municipal, place Saint-Eloi, Angers

Gratuit

vendredi 14 octobre, 10h : conférence en anglais
Wilderness, par Fabienne Joliet, docteure en géographie, maîtresse de conférences au département Paysage de l'INHP (Agrocampus-Ouest)

Le Wilderness est le grand mythe occidental qui configure notre goût pour la nature naturelle, sauvage. Il n'est pas synonyme de "wild nature", et correspond à un paysage emblématique de l'Amérique du Nord, à une construction culturelle (picturale, photographqiue, littéraire, philosophique) issue d'une rencontre entre un milieu naturel et une histoire spécifique. que l’on avait idéalisés ; on remodela ces paysages idylliques ; on posa sur des bases rationnelles les fondations d’un monde nouveau.
Bibliothèque Anglophone, 60 rue Boisnet, Angers
Gratuit

vendredi 14 octobre, 19h : soirée lecture
L'imaginaire paysager, avec Ghislaine Le Dizès - Clarinette accompagnement musical : Yann Gautier
Textes de Zola, Bettina von Arnim, Jack Kerouac, Jack London, Gilles Clément (en relation avec sa conférence du mercredi 19 octobre à la Bibliothèque Toussaint), Ghislaine Le Dizès, Julien Gracq, Thoreau, Walt Whitman, et quelques autres petites surprises... (voir le programme détaillé)
Le Comptoir des Livres, 15, rue Saint-Maurille, Angers

Gratuit (prix des consommations) - Réservations : 02 41 86 70 80

Paris, parc André Citroën
mercredi 19 octobre, 20h30 : Conférence
L'offre naturelle, par Gilles Clément, ingénieur horticole, jardinier, paysagiste, écrivain, enseignant à l’ENSP (Ecole Nationale Supérieure du Paysage à Versailles)

La séparation ville /nature est un fait culturel. Ce fait ne correspond en rien à la réalité du vivant. La nature vit en ville ou ailleurs : les humains, êtres participant de cette nature, en sont les meilleurs exemples.
Les sociétés technicistes ont développé une maîtrise du vivant (ou une illusion de maîtrise) les amenant à ne sélectionner de l’« offre naturelle » que ce qui leur convient en éliminant tout le reste. Cette guerre semble aujourd’hui abandonnée dans un grand nombre de villes où le « sauvage » est de mieux en mieux accepté, mais elle perdure avec une incroyable violence dans les campagnes.
Par sa texture, son importante surface minéralisée, sa chimie propre et son climat, la ville sélectionne, de façon « naturelle », le nombre d’espèces capables de vivre en de telles conditions. Toutefois ce nombre demeure élevé dès lors que cette nature venue par elle même et contente de se trouver là n’est pas combattue sévèrement. Mais il existe encore un discours selon lequel ces arbres venus seuls ne sont pas de vrais arbres et qu’il va falloir les remplacer par les espèces convenues, celles des pépinières et de la bienséance.
Si la présence de cette nature libre perturbe certains esprits formatés par une vision hygiéniste et réglée de la ville, elle offre par ailleurs sa présence gratuite dans un contexte où la raréfaction de la diversité biologique sur la planète inquiète et fait débat. D’un point de vue strictement lié au paysage cette nature libre crée des plages d’apaisement et de respiration où le temps travaille à son propre rythme, sans souci d’absurde « compétitivité » pour créer un système en équilibre avec les conditions du milieu. Cette biomasse offerte à tous – le plus souvent un boisement climatique - contribue à la requalification permanente de l’air respirable. Le Tiers paysage, somme des espaces offerts à l’accueil des espèces chassées de partout ailleurs, se présente comme un ensemble morcelé de délaissés utiles à l’humanité et garants du futur dans la mécanique invisible mais tenace de l’évolution.

Médiathèque Municipale, 49 rue Toussaint, Angers

Gratuit

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Commentaires

Textes de Philippe Parrain

Le paysage n’est pas forcément une donnée objective et immuable. Il dépend du regard que l’on porte sur lui, et de la façon dont il est investi par l’homme.

Lorsque, en 1492, Christophe Colomb découvre un nouveau continent, il croit accoster au Paradis. Les colons qui, à sa suite, s’établissent sur les côtes de l’Atlantique nord, rêvent eux aussi d’une terre d’innocence, d’une nature virginale à l’image des peuples qui l’habitent. Mais l’Amérique, dès sa fondation, se veut conquérante. D’emblée, avec les meilleurs sentiments, elle met ce monde idéal en péril.

L’homme doit se positionner par rapport à la nature : a-t-il mission de l’assujettir ? ou bien celle-ci mérite-t-elle le respect dû à une Mère nourricière ? Question délicate qui, au travers des civilisations et des mythologies, s’est posée tout au long de l’histoire de l’humanité…

Le Nouveau Monde
La palme d’or qui vient de récompenser Tree of life confirme l’importance de Terrence Malick, auteur rare et exigeant qui ne nous a donné que 5 films en 37 ans, autant de chefs-d’œuvre. Ce sont autant de méditations sur le rapport de l'homme à la civilisation et à la nature, qui débouchent sur une interrogation métaphysique que certains ont pu lui reprocher dans son dernier film.

Le Nouveau Monde témoigne du détournement du sens de l’Histoire : un viol requalifié en romance ; un récit dont la littérature et le cinéma se sont emparés pour y broder une séduisante idylle. Comme le note Lauric Guillaud, l’idylle Smith-Pocahontas a permis d’occulter la tragédie naissante en lui donnant l’apparence d’un grandiose début mythique ; l’appropriation du mythe par les Blancs immortalisait la princesse mais signait le constat de décès des Amérindiens. Le rêve de communion cédait la place au rêve américain.

Rêves
Un des derniers films du grand réalisateur japonais Akira Kurosawa (Rashomon , Les sept Samouraïs , Kagemusha…), réalisé à l'âge de 80 ans, Rêves apparaît comme un film-testament qui nous permet de pénétrer dans l'intimité de ce créateur qui fut également peintre, et qui était aussi profondément ancré dans la tradition japonaise qu'il était ouvert aux apports occidentaux.

Il s'agit d'un émouvant témoignage sur ses émerveillements et inquiétudes face à un monde qu'il voit changer ; un témoignage qui, avec l'évocation de l'explosion d'une centrale nucléaire, devient aujourd'hui d'une cruelle actualité.

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Thèmes mytho-légendaires

La terre des origines

Viens, Esprit. Aide-nous à chanter l’histoire de notre terre.
Tu es notre mère, nous, ton champ de maïs.
Nous naissons dans les entrailles de ton âme…
Ouverture du Nouveau Monde

Les deux films, pourtant fort différents, racontent un peu la même histoire : tous deux s’ouvrent par l’évocation d’une nature déifiée,

La prière de Pocahontas
une nature habitée, que ce soit par l’Esprit ou bien par les esprits ; tous deux témoignent de l’outrage dont elle est victime.

La prière de Pocahontas - la Femme - place d’emblée Le Nouveau Monde sur un plan cosmique. La terre indienne, présentée en rapport avec l’eau et le ciel, est sacrée. C’est le temps des origines où les hommes, comme les poissons, baignent dans un liquide matriciel, ce que souligne la musique de Wagner  : ces corps qui se meuvent dans l’eau évoquent, comme le souligne L. Guillaud, les ondines, ces «  Filles du Rhin  » insouciantes, chargées de veiller sur l’or, ce trésor symbole de pureté encore inviolé. Jusqu’à ce que la Terre-Mère devienne le territoire, la carte  : l’inscription «  Virginia 1607 », préludant à l’arrivée des bateaux, nous fait entrer dans l’Histoire.

Rêves : Soleil sous la pluie
C’est l’ancien Japon, riche de ses traditions, bien avant l’ère nucléaire, que célèbre Rêves. La forêt y est habitée par les renards qui la ritualisent. Nature vierge, objet de contemplation et de vénération, elle entend préserver ses secrets. L’Enfant pourtant, porté par sa curiosité, brise le tabou. Comme dans les contes mélusiniens, il regarde ce qu’il est interdit de voir et rompt ainsi le charme. Mais il ne s’agit encore là que d’un rite d’initiation, et le poignard dont il doit s’ouvrir le ventre reste symbolique  : la terre reste l’alliée de l’homme, et, au bout du chemin, l’arc-en-ciel signe leur alliance. Jusqu’au sacrilège qui va consister à arracher les pêchers en fleurs  : en fait la préhension du fruit défendu, le péché originel…

Nous sommes bien dans une logique paradisiaque (cf notre livret n° 19). Les découvreurs du continent américain pensaient avoir retrouvé le jardin d’Eden, là où coulent le lait et le miel. Et ceux qui les suivront ne cesseront de marcher vers une Terre promise et de vouloir y établir la Jérusalem céleste, le paradis de la fin des temps. L’Amérique engendre le rêve utopiste, dont on a vu les désillusions qu’il implique (cf notre livret n° 21). Le capitaine Newport prêche  : Un Eden nous attend. Nous avons fui le vieux monde et son carcan. Repartons de zéro et créons un nouvel exemple pour l’humanité. Nous sommes les pionniers du monde…. Dieu nous a donné une terre promise… Une terre d’avenir.

Mais avant de parler de progrès et de conquête, les deux films célèbrent la Terre-Mère nourricière à laquelle tout respect est dû. Cette terre qui, en l’honneur d’Elisabeth 1ère, la reine vierge, reçut le nom de «  Virginie  », mais qui en fait n’était «  terre vierge  » qu’en apparence, aux yeux des colons, puisqu’elle était déjà cultivée par les Indiens.

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L’invocation à la Mère

Lumière de ma vie… Mon Amérique !

Pocahontas régulièrement invoque la Mère  ; elle se réfugie sous sa bienveillante protection et cherche auprès d’elle à se réconcilier avec elle-même et avec son peuple. Ne serait-ce que par la teinte de ses vêtements, ou de sa peau, elle incarne la terre et semble vouloir imposer cette patine à l’ensemble des éléments du film  ; elle participe de la nature, joue dans l’eau, dans les hautes herbes, sur les arbres… Jusqu’à ce qu’elle mette des chaussures à talons hauts et s’anglicise.

Ce sont aussi des personnages féminins qui, dans Rêves, veillent sur la nature et sur ceux qui y vivent : cette jeune femme fantôme qui entraîne l’enfant afin de ressusciter un instant les pêchers en fleurs, ou bien la fée des neiges qui redonne vie aux hommes désespérés. Jusqu’à ce que soient les démons qui prennent possession de la terre.

Le Nouveau Monde : Smith et Pocahontas
La Femme est, dans Le Nouveau Monde, l’objet de la quête de l’homme, du «  chevalier  », par delà la forêt, par delà l’eau que l’on traverse, comme dans toutes les légendes. Et il faut passer par l’épreuve initiatique, le dépeçage symbolique au creux obscur de la case, pour l’atteindre  : c’est elle qui intervient pour lui accorder la vie, de même que c’est elle qui, en plein hiver, sauvera les Anglais de la famine en leur procurant les fruits de la terre et de la forêt  : une mère féconde, une mère nourricière...

Une Mère au sein de laquelle on aspire à retourner, que l’on voudrait pénétrer à l’image ces bateaux que l’on voit se glisser vers le cœur de la forêt  : Remonter cette rivière. L’aimer dans la nature… Tu as coulé à travers moi, telle une rivière.

Le paradis perdu

Cette défloration lente et majestueuse d’un continent réputé vierge.
Lauric Guillaud, Le Nouveau Monde

Mais Smith n’est pas un «  chevalier blanc  », un héros irréprochable qui défend les justes causes. C’est emprisonné, à fond de cale, qu’il apparaît  : Smith, vous avez abordé ces rives, entravé par des chaînes. En même temps c’est un élu, aiguillonné par le sentiment d’une vocation mystique dont témoigne sa méditation en voie off (Quelle est cette voix qui parle en moi, qui me guide vers le meilleur  ? ) qui, bizarrement, trouvent un écho dans Taxi Driver au moment où Travis, au carrefour de «  Columbus Circle  », s’ensauvage  : Il est clair que toute ma vie s’oriente dans une seule direction. C’est évident. Je n’ai jamais eu le choix.

Smith est un rebelle cherchant sa voie. Mais il ne fait pas le bon choix aux yeux de la logique morale et de l’attente narrative. Il s’égare  ; il est en fait le chevalier noir qui prend en otage la princesse, et qui l’oublie. Plus que du Destin, c’est de l’Histoire qu’il est le jouet, et l’agent.

Le Nouveau Monde : forage d'un puits

C’est de la même manière que la terre nourricière est trahie. Elle est éventrée dans le vain espoir qu’elle livre son or. La mort se répand dans toute son horreur, comme elle le fait dans Rêves. La guerre, la terre dévastée, la terre brûlée… Les Indiens comprennent que les Anglais vont s’incruster et proliférer quand ils les voient défricher, cultiver, lacérer le sol. Pocahontas, qui leur apporte des graines, trahit à son tour. Elle doit quitter son peuple et rejoindre Smith au fort.

Rêves : Le verger aux pêchers

Ce nouveau monde, d’abord présenté comme une terre sans défauts, un «  paradis  », va vite devenir pour les Anglais et par les Anglais, et ensuite pour les Indiens eux-mêmes, un « enfer  ». C’est également, après que les pêchers aient été coupés, aux Enfers que nous entraîne l’officier de Rêves lorsqu’il pénètre dans le tunnel dont l’entrée est gardée par un redoutable Cerbère. Il y sera suivi par tout le régiment des morts qui ont péri sous ses ordres. Les fées tutélaires ont alors bien disparu.

Ce que tous ces conquérants n’avaient pas vu, c’est que ce (nouveau) monde était en fait un monde ancien, digne du plus grand respect, façonné par des traditions millénaires porteuses de sens.

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La déchirure

Pourquoi le Paradis américain est-il toujours voué à l’enfer ?
Lauric Guillaud, Le Nouveau Monde

Le village des Indiens est incendié, ils sont chassés du paradis comme le furent Adam et Eve devant les Chérubins aux épées de feu gardant la porte du jardin d’Eden. Le bannissement est encore plus terrible lorsque, dans Rêves, la foule en panique doit fuir devant les formidables explosions qui embrasent le mont Fuji.

La rupture était déjà annoncée, au début du Nouveau Monde, par la juxtaposition de trois univers : sous l’eau (l’immersion), sur l’eau (la conquête) et à fond de cale (la rébellion). Le contraste est accentué par l’opposition entre les deux points de vue  : les Anglais découvrant cette nouvelle terre, et les Indiens observant l’arrivée des bateaux.

Pocahontas observe l'arrivée des bateaux
Le mouvement de Pocahontas se détachant du groupe trahit une attente, une secrète aspiration qui l’arrache à la fusion originelle.

Nous sommes à un moment de transition. Le moment où, selon E.O. James, la Déesse s’efface devant le jeune dieu, où les divinités masculines supplantent le culte primitif de la fertilité. La jeune femme se met à douter : Mère, où vis-tu ? et se prend à révérer Smith, l’étranger  : Tel un dieu il m’apparaît.

Le bêchage de la terre, la hache qui attaque les arbres du Nouveau Monde et l’abattage des pêchers de Rêves s’opposent à l’apparition des Indiens parmi les arbres, aux courses parmi les hautes herbes, aux errances de Smith dans les bois et à l’intrusion de l’enfant dans l’imposante forêt. Puis, une fois établie la différence entre les deux mondes, ce sera l’édification des palissades qui va rompre à jamais l’unité primordiale.

Pocahontas, arrachée à son monde, devient Rebecca. Lauric Guillaud souligne la portée symbolique de ce nom. Rebecca, dans la Bible, est la mère des jumeaux Jacob et Esaü, qui se querellent déjà en son sein, signe d’une scission, de la faillite d’un rêve qui aurait pu rassembler les deux communautés  : Deux nations sont dans ton ventre, et deux peuples se sépareront au sortir de tes entrailles  ; un de ces peuples sera plus fort que l’autre, et le plus grand sera assujetti au plus petit.

Rêves : Le village des moulins à eau
Dans Rêves, c’est l’homme qui d’emblée fait outrage à la nature, à la terre en provoquant carrément sa ruine. Le conflit, qui s’exprime dans la tempête de neige ou bien sous le pinceau de Van Gogh, finit par faire chavirer les paysages. Mais, contrairement à la rupture définitive qui signe la naissance des Etats-Unis, Kurosawa ménage une ultime réconciliation entre l’homme et la nature.

La terre apprivoisée

Cette terre privilégiée du chassé-croisé entre rêve et réalité offre un prodigieux vivier d’images.
Lauric Guillaud, Le Nouveau Monde

Pocahontas dans un jardin anglais
Pocahontas, «  l’Espiègle  », est reconvertie en fermière, puis en grande dame. Les bateaux amènent des femmes, des Mères de substitution, qui consacrent la fondation de la colonie. L’inégale confrontation entre deux mondes est arbitrée ; l’Amérique est orpheline de son paradis, le jardin d’Eden se trouve transformé en jardin potager  : l’ordre et la sécurité face à la nature, au paysage sauvage.

La possession, la domination de la terre est un enjeu de civilisation, un enjeu spirituel  ; c’est par elle que l’homme peut s’inscrire dans le plan de l’univers, et le rapport filial avec la terre devient viol lorsqu’elle cesse d’être respectée comme elle le doit et qu’elle devient objet d’appropriation, de conquête, d’enrichissement. C’est d’elle, comme le titre l’indique, du pays, du paysage, que parle Le Nouveau Monde, et non pas de tel ou tel personnage. Et c’est à elle que la fin de Rêves rend hommage en lui confiant le corps d’une de ses respectueuses enfants.

L’âme des paysages

On me demande de labourer la terre.
Mais prendrais-je un couteau pour déchirer le sein de ma mère ?
Quel autre sein, à ma mort, me donnerait alors le repos ?
Vous me demandez de creuser le sol pour en extraire des pierres.
Dois-je donc creuser sous sa peau pour en retirer les os ? (…)
On me demande de couper l’herbe pour en faire du foin,
le vendre et m’enrichir comme les Blancs.
Mais qui oserait couper les cheveux de sa mère ?
Smohalla, prophète amérindien (vers 1815-1907)

L’environnement est une préoccupation majeure de notre temps  : retour à la nature, protection de la biodiversité, pureté de l’air, qualité de l’eau, prévention des risques climatiques… Mais est-ce seulement une question d’hygiène, ou d’esthétique  ? Les différentes traditions considèrent la terre avec respect, elles donnent vie aux éléments, elles lisent des signes dans les paysages et y détectent la présence de multiples puissances tutélaires ou au contraire menaçantes  : bonnes fées, esprits familiers, lutins et farfadets, fantômes et démons…

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La Terre-Mère

N’avaient-ils pas raison, les mythologistes,
de peupler leurs bois de faunes, de satyres, de dryades,
d’hamadryades, de nymphes imaginaires ?
Jules Verne, Le Village aérien

Nous sommes nés de la terre. Les différentes traditions disent que nous avons été façonnés dans la glaise, avant d’être, tel Adam banni de l’Eden, expulsés de la matrice, du jardin primordial. Cette origine justifie bien des croyances et représentations  : nostalgie d’un temps primordial et aspiration à réintégrer le ventre maternel  ; rêve de paradis et frayeur sacrée face à d’insondables profondeurs. L. Guillaud (King Kong) le constate  : Le paysage du pays perdu oscille souvent entre des représentations positives ou négatives du principe féminin  : femme sensuelle (éminences arrondies, matrices sylvestres, eaux-mères voluptueuses) ou femme dévorante (bas-fonds hideux, marécages nauséabonds, intestins-gouffres).

Certains sites privilégiés –  le Mont-Saint-Michel ou la Sainte-Baume, le mont Fuji ou les rives du Gange  - se chargent de spiritualité. Le temple, grotte obscure ou forêt de piliers, sacralise ce paysage, surtout s’il s’agit du nemeton gaulois, un temple naturel qui, mieux qu’un édifice de pierre bâti de main d’homme, proclame l’œuvre de la Création  : Il y avait un bois sacré, qui, depuis un âge très reculé, n'avait jamais été profané. Il entourait de ses rameaux entrelacés un air ténébreux et des ombres glacées, impénétrables au soleil. […] Les oiseaux craignent de percher sur les branches de ce bois et les bêtes sauvages de coucher dans les repaires  ; le vent ne s'abat pas sur les futaies, ni la foudre qui jaillit des sombres nuages. Ces arbres qui ne présentent leur feuillage à aucune brise inspirent une horreur toute particulière. […] Des tremblements de terre faisaient mugir le fond des cavernes, des ifs courbés se redressaient, les bois, sans brûler, brillaient de la lueur des incendies, des dragons, enlaçant les troncs, rampaient ça et là… (Lucain, La Pharsale,1er siècle ap. J.C.)

Les paysages s’animent, ils participent de la vie de l’univers. Les montagnes sont soulevées par des géants, les fleuves sont pissés par Gargantua, les rochers sont des cailloux tombés de ses chaussures

Monts d’Aubrac (48) : la Vieille, aux formes caractéristiques, sur le site des Bondons
et c’est lui qui a creusé le passage de la Loire vers la mer  ; Éole libère les vents qu'il garde dans des outres, les dragons provoquent les inondations, l’Huveaune est alimentée par les larmes de Marie-Madeleine, les constellations célestes prennent vie… Les nymphes et les dieux eux-mêmes s’incarnent dans la nature  : Daphné devient laurier, Attis violettes, Adonis fleur couleur de sang, Nout et Osiris sycomore ou bruyère…

Et les peintres, de Joos de Momper à Salvador Dali, n’ont pas manqué de surprendre des présences insoupçonnées, l’émergence de forces cosmiques dans leurs paysages anthropomorphes.

Les jardins enchantés

Ce plaisir superbe de forcer la nature.
Saint-Simon, à propos de Versailles

Paris, jardin Albert Kahn
Même si le jardin d’Eden est un don de Yahvé, tout comme celui du roi Alkinoos, dans l’Odysée, est un don des dieux, et même si l’homme se doit de révérer la terre, il a reçu la mission de la faire fructifier  : Yahvé Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. Il est devenu agriculteur ; il a appris à maîtriser la terre et en même temps à organiser le paysage. Et il a aussi cherché à retrouver le paradis perdu en domestiquant la nature, en la re-composant à l’abri d’une clôture, face à l’hostilité des espaces sauvages.

Etienne Le Hongre, Pomone,
parc du château de Versailles

C’est ainsi que naquirent des lieux mirifiques, jardins suspendus de Babylone, pardès persans, jardins d’Allah, jardins médiévaux de la courtoisie, jardins japonais…, autant de lieux de plaisir et d’harmonie, de joie et de béatitude dont semble rêver Marco Polo en décrivant le jardin du Vieux de la Montagne  : Le plus grand et le plus beau jardin qu’on vit jamais, plein de tous les fruits du monde […] Il y avait des canaux qui transportaient du vin, du lait, du miel et de l’eau. Et c’était plein de dames et de demoiselles les plus belles du monde…

Les divinités qui autrefois habitaient les paysages sont devenues familières. Les figures mythologiques hantent les jardins  : nymphes et satyres, sphinx, lions, dieux et déesses antiques trônent sur les allées ou se tapissent dans des recoins savamment aménagés  ; temples factices et mausolées, kiosques et pavillons, labyrinthes, fausses ruines et grottes stimulent l’imagination et invitent à la réflexion, voire à une méditation ésotérique.

La terre désacralisée

C'était sauvage autrefois ; aujourd'hui c'est un jardin. N'en es-tu pas fier ? Hallie à la fin de L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford

Les tentatives de maîtrise conduisent à la rigidification de l’espace (de l’espèce), banalisent le jardin (banalisent l’être), le transforment en modèle.
Gilles Clément, La Sagesse du jardinier

Du meurtre d’Abel à l’arrachage des OGM, le développement de l’agriculture a toujours interpelé l’homme  : même si Jahvé a fait d’Adam le co-créateur du monde et du paysage, il n’en a pas pour autant agréé l’offrande par Caïn de ses fruits. L’économie moderne et les progrès de la science entendent optimiser les techniques agraires, mais les produits en sont-ils raisonnablement recevables  ?

Les paysages par ailleurs -  montagne, mer, forêt, marais, désert, fonds sous-marins, jusqu’aux paysages virtuels  - sont longtemps restés ignorés. Ceux qui les habitaient en faisaient partie, ils en vivaient, ils dépendaient des puissances qui les animaient, mais ils ne les regardaient pas. Ce n’est que récemment qu’ils ont été jugés dignes d’attention. En même temps ils sont devenus des objets, prétextes à découvertes ou sujets de peintures.

Nain de jardin
Peu à peu, entre sites naturels et espaces préservés, la nature se trouve embrigadée, elle perd son âme. Malgré l’ambitieux projet de Proudhon (étendu par Gilles Clément à la dimension planétaire) de transformer [la France] en un vaste jardin, mêlé de bosquets, les jardins eux-mêmes deviennent futiles  : sont-ils aujourd’hui habités par les dieux, ou bien par des nains de jardins  ? Mais, à côté des films de Disney, ceux de Miyazaki montrent que de petits génies hantent toujours les forêts.

Certaines villes même, telles Detroit désertée par sa population ou les nouvelles cités végétalisées, voient refleurir entre leurs murs des jardins. Ralentir la ville, propose G. Clément. Il prône, avec La Sagesse du jardinier, le retour des forces vives, d’une certaine spontanéité naturelle au sein de nos paysages  : La tradition exclut du territoire jardiné toutes les espèces vivantes animales et végétales, échappant à la maîtrise du jardinier… L’avènement écologique bouleverse cette vision. Les espèces légendaires ou mythologiques y trouveront-elles aussi leur place  ? Ressusciteront-elles de leurs cendres ou bien seront-elles renouvelées, donnant vie à des figures inédites  ? L’imaginaire pourra-t-il à nouveau s’y frayer un chemin  ?

La légende de Pocahontas et l’Amérique

Rebecca Rolfe, anonyme,
National Portrait Gallery (Londres)
Pocahontas
vue par Walt Disney

Pocahontas est un personnage historique. Fille d’un chef indien, elle avait 11 ans en 1607, lorsque les Anglais fondèrent Jamestown sur la côte de ce qui allait devenir l’état de Virginie.

Ce n’est qu’en 1624 que le capitaine John Smith raconte que, capturé par les Indiens, et sur le point d’être exécuté, il aurait été sauvé à la demande de la jeune fille. Celle-ci sera à son tour capturée par les Anglais  ; baptisée sous le nom de Rebecca, elle est mariée à John Rolfe, connu pour avoir promu la culture du tabac, et en a eu un fils, Thomas. Introduite à la cour d’Angleterre, elle est reçue par le roi Jacques 1er, mais ne pourra retourner dans son pays. Malade, sans doute victime de la pollution anglaise, elle meurt à 21 ans et est enterrée dans le cimetière de Gravesend. Ne sachant ni lire ni écrire, elle n’a laissé aucun témoignage personnel, si bien que ses pensées et ses sentiments nous resteront à jamais inaccessibles.

Pocahontas sauvant la vie du Capt. John Smith, Bibliothèque du Congrès (1870)
C’est The Rescue, l’anecdote du sauvetage de Smith -  peut-être authentique, peut-être inspirée de récits similaires - qui a marqué les imaginations. Pocahontas est devenue une princesse, et la relation entre elle et Smith s’est transformée en idylle romantique. Une légende est née. La littérature, puis le cinéma s’en sont avidement emparés, et l’histoire est devenue, dans les états du sud, symbolique pour la conscience américaine  : un véritable mythe de fondation qui liait le destin des colons à celui des Amérindiens et qui permettait d’envisager des relations pacifiques entre les deux communautés. Espoir qui fut vite déçu, mais qui resta emblématique pour la jeune nation.

Nombre de familles américaines inscrivent la princesse dans leur généalogie, de la même façon que César revendiquait l’ascendance de Vénus, et les Lusignan celle de la fée Mélusine. On peut lire par exemple que le président Jefferson serait son descendant, tandis que Carter ou les Bush lui seraient rattachés par alliance.

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biblio-filmographie

Livres

. Lauric GUILLAUD, Le Nouveau Monde, autopsie d’un mythe, Michel Houdiart, 2007
. Audrey BONNET, Pocahontas, princesse des deux mondes, Les Perséides, 2006
. Elise MARIENSTRAS, Les Mythes fondateurs de la nation américaine, Editions Complexe, 1992
. E.O. JAMES, Le Culte de la Déesse-Mère dans l’histoire des religions, Payot, 1960
. Gilles CLÉMENT, Le Jardin en mouvement – De la Vallée au jardin planétaire, Sens et Tonka, 2001
. Gilles CLÉMENT, La Sagesse du jardinier, JC Béhar, 2011
. Gilles CLÉMENT, Le Jardin planétaire, Albin Michel, 1999
. Gilles CLÉMENT, Thomas et le voyageur, Albin Michel, 2011
. Alain ROGER, Court Traité du paysage, Gallimard, 1997
. Michel BARIDON, Les Jardins, Robert Laffont, 1998
. Augustin BERQUE, Les Raisons du paysage : de la Chine antique aux environnements de synthèse, 1995
. Jean-Marie PELT, Nature et spiritualité, Fayard, 2008

Films

. Terrence MALICK, La Ligne rouge, 1998
. Terrence MALICK, Tree of life, 2011
. John BOORMAN, La Forêt d’émeraude, 1985
. Michael CIMINO, The Sunchaser, 1995
. Nicholas RAY, La Forêt interdite, 1958
. Robert FLAHERTY, Moana, 1923
. F. W. MURNAU, Tabou, 1931
. Hayao MIYAZAKI, Princesse Mononoké, 1997
. Naomi KAWASE, La Forêt de Mogari, 2007
. Eran RIKLIS, Les Citronniers, 2008
. Douglas TRUMBULL, Silent Running, 1971
. Frédéric BACK, L' Homme qui plantait des arbres, 1987
. Guillermo DEL TORO, Le Labyrinthe de Pan, 2006
. Peter GREENAWAY, Meurtre dans un jardin anglais, 1982
. John FORD, L’Homme tranquille, 1952
. Mike GABRIEL, Eric GOLDBERG, Pocahontas, une légende indienne, 1995

Rêves : Le mont Fuji en rouge

Programme 2011-12

le nouveau monde

USA - 2005 - 136 minutes couleurs
film historique, contemplatif

Réalisation : Terrence Malick
Interprètes : Colin Farrell (Smith), Q'orianka Kilcher (Pocahontas), Christian Bale (Rolfe), Christopher Plummer (Capitaine Newport)

SUJET
En avril 1607, des Anglais débarquent sur le continent nord-américain et fondent Jamestown, un avant-poste de la civilisation. Ils se retrouvent en fait en présence des Indiens qui vivent là. Mais, incapables de pactiser avec eux ou de simplement les comprendre, ils entreprennent de s'implanter sur cette terre, fût-ce par la force.

John Smith, parti en reconnaissance, découvre la société indigène et s'attache à la jeune Pocahontas. Mais le sentiment qui naît entre eux n'empêchera pas les Indiens de se voir spoliés de leur identité ni leur environnement naturel de se dégrader...

reves

Japon - 1990 - 117 minutes couleurs
Rêverie picturale et écologique

Réalisation : Akira Kurosawa, Inoshiro Honda

SUJET

Ce film propose huit rêves : Soleil sous la pluie, Le Verger aux pêchers, La Tempête de neige, Le Tunnel, Les Corbeaux, Le Mont Fuji en rouge, Les Démons gémissants, Le Village des moulins à eau.

Autant de vignettes au travers desquelles se dessine une continuité ; autant d’estampes qui balayent les âges de la vie et évoquent des moments de civilisation au travers de paysages : la forêt habitée par les esprits, les vergers que l’on rase, la montagne hostile, l’intrusion dans les tableaux tourmentés de Van Gogh, la dévastation nucléaire et la redécouverte d’un cadre de vie harmonieux, respectueux de l’écologie. Une réflexion poétique et picturale à propos de l’influence de l’homme sur l’évolution de son environnement naturel.