Cinélégende

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un mythe solaire 

vendredi 29 mars, 20h à 22h : Atelier d'écriture, avec Véronique Vary de l'association Passez-moi l'expression ! Ecrire la joie
Comment écrire la joie ? On dit qu'il ne faut pas évoquer le bonheur de peur qu'il ne se sauve, nous allons faire mentir cette croyance en développant le thème ô combien solaire de la joie et de son rayonnement. A vos stylos ! N'oubliez pas vos lunettes de soleil !
La Marge, 7 rue de Frémur, Angers 
Ouvert à tous : novices ou plus expérimentés
12 euros l'atelier
Renseignements et réservations : 06 81 30 64 63 -
varyveronique@hotmail.com

mardi 2 avril, 20h15 (et 13h15) : Film
Casque d'Or  (France, 96 min.) de Jacques Becker, avec présentation et débat en présence de Louis Mathieu et Geoffrey Ratouis, historien "légendaire" 

Cinéma Les 400 coups, 12, rue Claveau, Angers

Tarifs habituels aux 400 Coups : 8 €, réduit 6,50 €, carnets 5,30 € ou 4,70 €, moins de 26 ans 5,90 €, moins de 14 ans 4 € - tarif groupe, les matins  également, sur réservation (02 41 88 70 95) : 3,80 €

jeudi 4 avril, 18h30 : Conférence
Heureux qui comme Ulysse… Le mythe solaire, par Geoffrey Ratouis, historien

Depuis la plus haute antiquité, et sans doute dès les âges les plus reculés de la pensée humaine, l'astre solaire est l'objet de tous les regards, de toutes les interrogations, de toutes les vénérations.
Offrant gracieusement aux hommes et à la nature sa lumière et sa chaleur, comme autant d'ingrédients indispensables à la naissance de toute vie sur Terre, le Soleil serait-il donc aux origines de toutes les mythologies ? Qu'on le nomme Ré dans l'Égypte des pharaons, Apollon chez les Grecs antiques, Sól dans la mythologie nordique ou Huitzilopochtli dans la civilisation aztèque, l'adoration du disque solaire est commune à toutes les cultures. Combien de temples, de pyramides, de palais a-t-on construit en son honneur ?
Mais, le Soleil est aussi une inépuisable source d'inspiration pour les arts et les lettres et jusqu'au cinéma qui, dans ses salles obscures, ne cesse de réinterpréter sa légende.

Institut Municipal, place Saint-Eloi, Angers
Gratuit

vendredi 12 avril, 19h : Soirée-Contes : Les saisons de l'amour, avec Sylvie de Berg
Printemps de l'amour, puis Été, Automne, Hiver… mais Hiver point ne dure, et revoici Printemps ! L'amour nous aimante et nous pousse. Absent, il manque, et nous passons nos vies à le chercher. Présent, il emplit, et réchauffe, et ensoleille tout.
Aimer et être aimé, et aimer être aimé… jusqu'à aimer l'Amour lui-même ?
Des Contes pour le dire, à partir de 13 ans


Association Cinélégende, 51 rue Desjardins

Participation au chapeau + Contribution au buffet convivial, pour ceux qui désirent s'attarder
réservations : 02 41 86 70 80

et également:
 

vendredi 5 avril, 18h30 : Rappel historique du falun, des carrières de Doué et des réutilisations (refuge, habitat, champignonnières). Aujourd'hui centre d'hébergement de groupes.
Visite et grignotage amical.
Projection dans les Perrières du film d'animation Mune, le gardien de la lune   (France, 88 min.), de Benoît Philippon et Alexandre Heboyan.

Dans un monde fabuleux où s'opposent les pouvoirs du soleil et de la lune, Mune, petit faune facétieux, est désigné bien malgré lui gardien de la lune : celui qui apporte la nuit et veille sur le monde des rêves. Mais il enchaîne les catastrophes et donne l'opportunité au gardien des ténèbres de voler le soleil. Avec l'aide de Sohone, le fier gardien du soleil, et de la fragile Cire, Mune part alors dans une quête extraordinaire qui fera de lui un gardien de légende !
Le Mystère des Faluns, 7, rue d'Anjou, Doué-en-Anjou: Le site des Perrières
à partir de 7 ans
Entrée : 5 €, gratuit pour les moins de 11 ans 
Réservations (avant le mercredi 3 avril) : 02 41 59 71 29 - l.aubineau@doue-en-anjou.fr>

Commentaires

Textes de Philippe Parrain

Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer

Nini Casque d'Or
Aristide Bruant donna la vedette, dans ses Bas-fonds de Paris, au personnage d'une prostituée notoire, Nini Casque d'Or, qui sut s'imposer au sein de la pègre à la fin du XIXème siècle, et qui entreprit de publier elle-même ses mémoires en décrivant très crument le quotidien de sa vie de fille publique.

Jacques Becker s'est emparé de cette figure et, en en confiant le rôle à Simone Signoret, l'a sublimée. D'une histoire sordide il a tiré une belle histoire d'amour. Il confère l'ampleur d'un mythe à cette fille tirée du ruisseau. Tels le brin d'herbe perçant à travers le bitume ou la fleur de lotus qui émerge, immaculée, au-dessus de l'eau fangeuse, ou tel le soleil surgissant des ténèbres nocturnes, Casque d'Or resplendit, solitaire, au-dessus de la turpitude qui l'entoure.

Casque d'Or

Le film s'inspire d'un fait divers qui défraya la chronique de la Belle Époque. C'est la prostituée Amélie Élie que l'on appelait alors, parmi les "apaches" parisiens, Casque d'Or, pour les beaux yeux de laquelle deux caïds de la pègre se livrèrent une lutte acharnée. Pour citer Le petit Journal d'alors : "Pendant une demi-heure, en plein Paris, en plein après-midi, deux bandes rivales se sont battues pour une fille des fortifs, une blonde au haut chignon, coiffée à la chien !" Le film, qui décrit sans ambages le monde criminel des années 1900, aussi impitoyable que celui de Touchez pas au Grisbi, conserva certains noms, mais modifia largement la trame de l'histoire.

Il fut un demi-échec à sa sortie en France : le public attendait un polar, alors que Becker en avait fait un grand film d'amour, illuminé par la présence de Simone Signoret. Ce n'est que plus tard que, célébré à l'étranger, il connut le succès et devint un grand classique préfigurant la transition entre le classicisme poétique du cinéma d'avant-guerre et la modernité de la Nouvelle Vague à venir. Avec le lyrisme sec qui lui est propre, Jacques Becker met en marche les rouages d'une tragédie implacable. Et exalte la violence d'une passion qui lie deux amants jusque dans la mort.

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thèmes mytho-légendaires des films

transfiguration

Le nom de "Casque d’Or" - qui désignait la prostituée Amélie - exprime le pouvoir d’évocation de Marie sur l’imaginaire populaire. Il n’est pourtant jamais mentionné dans le courant du film. C’est simplement le choix de ce titre qui, par-delà la référence historique et la contingence du récit, transpose l’héroïne dans une dimension mythique. Le port symbolique du casque la situe hors de la temporalité en la renvoyant à des périodes antiques et légendaires, et à des personnages comme la déesse de la guerre Athéna qui, grâce à ses sages conseils, présidait à la conduite des humains. Il lui suffit d’abandonner ce "casque" en dénouant sa chevelure (au réveil ébloui de lumière, le matin à la campagne, ou le soir, dans le pressentiment d’un sombre avenir), pour qu’elle perde son ascendant et redevienne une simple mortelle.

La sublime créature - « la meilleure guincheuse de Belleville » - se voile modestement la tête d’un foulard en entrant dans l’église et s’émeut devant un mariage, tandis que l’ancien truand Manda, qui avait choisi de devenir simple charpentier, se sent obligé d’éteindre sa cigarette. Un autre détail qui ne doit pas être négligé est ce grain de beauté emblématique qu’elle arbore dans la séquence du bal à l’Ange : atout séduction et signe divinisant de majesté qu’arborait déjà Marylin Monroe ou, on l’a vu, Fedora ou encore Lola, pour s’en tenir à la programmation récente de Cinélégende. Les grandes dames de l'aristocratie d’antan ne se posaient-elles pas des "mouches" sur la peau pour se mettre en valeur ?

Il est certain qu’une certaine dimension religieuse affleure dans Casque d’Or. Le couple s’affiche en tant que Marie et Jo ; ce dernier certes est Georges et non pas Joseph, ce qui ne l’empêche pas d’être, à l’exemple de saint Joseph, charpentier ; et, comme par hasard, c’est à l’Ange Gabriel qu’ils se retrouvent… Moins anecdotique sans doute, la fin qui nous montre, face à l’échafaud où Manda est sacrifié, pour ainsi dire au pied de la Croix, une Marie-Madeleine pécheresse, ou bien une sorte de mater dolorosa évocatrice de la Vierge "au cœur douloureux" ; l’amant du Temps des cerises dont parle alors la musique, ne gardait-il pas aussi « au cœur une plaie ouverte » ?

Mais, à l’encontre du film tadjik Luna Papa (voir notre dossier sur ce film, programmé en février 2008) qui proclamait le pouvoir fécondateur de la divinité lunaire, il ne sera pas ici question de divin enfant, pas de Sauveur. Quoique, même si c’est sur le mode mélancolique, la musique apporte une note d’espoir en des temps meilleurs, que ce soit sur le plan sentimental ou sur le plan politique :
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête …
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur…

Une femme solaire

La route s’éclaira tout à coup, comme si le soleil ruisselait soudain à travers les feuillages des grands arbres, et Iseut la Blonde apparut…
Iseut la blonde, aux cheveux d’or, dont la beauté brillait comme l’aube qui se lève.

Le Roman de Tristan et Iseut

L’être surnaturel qui, dans Luna Papa, gratifie l’héroïne de la naissance d’un fils, est la, ou plus exactement le Lune. Il ne faut pas oublier en effet que le sexe des astres peut être relatif : chez les Hébreux, les Arabes, les Celtes ou les Germains, le mot "soleil" (die Sonne) est originellement féminin et "lune" (der Mond) masculin.

De nombreuses traditions en effet attribuent à cet astre une divinité masculine, tandis que le ou plutôt la Soleil s’affirme sur le mode féminin. Les Celtes notamment personnifiaient celui-ci sous une forme féminine. La légende, traditionnelle en Irlande, Diarmuid et Grainne en porte témoignage : l’histoire d’un amour destructeur qui a traversé les siècles.

K.-T. McCaffrey, Diarmaid et Grainne
Grainne, fille du roi d’Irlande et la plus belle femme du pays, était promise en mariage à Finn, un vieux guerrier valeureux. Malgré ses réticences, elle doit se préparer aux noces. Mais, pendant le banquet, elle aperçoit Diarmaid, un des guerriers de Finn, fils adoptif du dieu de l’amour, qui porte sur le front une marque magique capable de rendre amoureuse celle qui peut la voir. Aussitôt tombée sous le charme, Grainne fait boire aux invités un vin qui les plonge dans le sommeil. Elle seule reste éveillée avec Diarmaid auquel elle jette un sortilège et qui doit fuir avec elle dans les bois. D’abord réticent, il s’éprend peu à peu de la beauté et de l’intelligence de la jeune femme. Finn, animé d'une terrible colère, se lance désespérément à la poursuite du couple qui se réfugie aux quatre coins de l'Irlande, à l’abri de la forêt ou dans des grottes où ils dorment sur des lits de mousse ou de bruyère. La traque se prolonge pendant seize longues années, mais les amoureux parviennent toujours à échapper aux hommes de Finn lancés à leurs trousses.

Enfin, lassé, Finn capitule et, en guise de réconciliation, invite son rival à une chasse au sanglier. Diarmaid parvient à terrasser la bête, mais celle-ci, dans un ultime effort, le transperce de ses défenses acérées. Diarmaid expire et, à cette nouvelle, Grainne, accablée de douleur, se laisse elle aussi mourir.

John Duncan, Tristan and Isolde
Si l’on considère qu’il dérive du gaélique grian, "soleil", le nom de cette femme superbe, fille de roi, qui impose son désir et entraîne son amant dans une inexorable course à travers l’Irlande, renvoie de toute évidence à une symbolique solaire. Son histoire a visiblement inspiré celle d’Yseult qu’un même amour fusionnel lie à Tristan.

Celle-ci, également fille du roi d’Irlande, était réputée pour son inégalable beauté, et c’est à la vision d’un de ses cheveux dorés que le vieux roi Marc tombe sous son charme et demande à l’épouser. Comme Grainne, Yseult et sa mère maîtrisaient l’art des enchantements et « savaient les baumes et les breuvages qui raniment les blessés déjà pareils à des morts ». C’est ainsi qu’à deux reprises elle guérit Tristan de ses blessures et aussi qu’elle lui fait boire le fatal "vin herbé" qui scellera leur sort. Yseult ne consommera pas ses noces avec Marc, et c’est elle qui prendra les devants et saura ruser pour rejoindre Tristan. Poursuivis par les félons et les barons du roi, ils s’engagent alors dans une longue cavale. « Au fond de la forêt sauvage, à grand ahan, comme des bêtes traquées, ils errent, et rarement osent revenir le soir au gîte de la veille. » Quand l’aventure touche à sa fin, Marc accorde son pardon et, les années ayant passé, Tristan livre un ultime combat et est mortellement blessé. Yseult, terrassée de douleur, « corps contre corps, bouche contre bouche, rend ainsi son âme… »

Yseult, la Belle aux Cheveux d'Or, pourrait personnifier, dans ce récit, le soleil, tandis que Tristan, en "beau ténébreux" qu’il est, représente la lune : il ne s’épanouit que lorsqu’Yseult le met en pleine lumière et, séparé d’elle, il s’étiole et ne peut que pleurer son amour perdu. Il est aussi dit que, pour ne pas dépérir, les deux amants doivent se rencontrer au moins une fois par mois, ce qui évoque le cycle lunaire où le soleil alternativement masque et illumine la lune.

Marie, au Casque d’Or, semble elle aussi s’affirmer comme une figure solaire. En robe claire, elle irradie face à Manda, toujours revêtu de noir. Sous de doux abords, celui-ci, comme Tristan, s’affirme comme un redoutable chevalier : il affronte et terrasse le Morholt en la personne de Roland, tandis que Leca, le caïd qui revendique Marie, pourrait être une réincarnation du roi Marc, en même temps que celle du dragon qui exige pour les dévorer le tribut de jeunes filles et dont Tristan vient à bout. On pourrait reconnaître dans le personnage de Julie sa confidente, la fidèle Brangien qui seconde Yseult, et dans celui du copain Raymond le "bon écuyer" Gorneval, compagnon de Tristan. Les deux amoureux se cachent à la campagne de même que les héros de la légende trouvaient refuge dans la forêt. Quant aux félons - les sbires de Leca -, ils sont bien là qui les traquent pour ramener Marie auprès du "roi".

C’est encore dans son modèle médiéval que peut s’exprimer l’amour qui unit Marie et Manda : « Les amants s’étreignirent ; dans leurs beaux corps frémissaient le désir et la vie. » Ils sont animés, avec la même détermination, par leur passion : « Ni tour, ni fort château, ni défense royale ne m’empêcheront de faire la volonté de mon ami, que ce soit folie ou sagesse !» Le dernier combat que livre Manda le fait tomber dans une "embuscade" (la cour du commissariat) et le condamne, victime d’une "lance empoisonnée". La distance imposée entre la fenêtre d’observation et la funeste cour de prison rappelle celle qui sépare Yseult sur un bateau immobilisé par un calme plat et Tristan se mourant sur la berge. Enfin, si Marie ne rejoint pas Manda dans la mort, les deux amants ne se retrouvent bien réunis pour danser dans l’au-delà.

Envoûtement

Non, ce n’était pas du vin : c’était la passion, c’était l’âpre joie et l’angoisse sans fin, et la mort.
Le Roman de Tristan et Iseut

On peut dire qu’Yseult est victime, au même titre que Tristan, de l’action du philtre. Il n’en reste pas moins que c’est sa mère qui a concocté celui-ci à son propre usage. Qui plus est elle ne peut que marquer sa profonde déception lorsqu’elle apprend que le beau chevalier qui a tué le dragon pour obtenir sa main l’avait fait, non pas en son nom propre, mais en celui d’un roi vieillissant. Si Tristan accomplit des exploits, c’est surtout elle qui, tout au long de l’aventure, ne cesse de prendre les décisions pour conserver l’amour de Tristan, voire pour le rejeter lorsqu’elle pense avoir été trahie.

Si, dans le film, c’est Roland, puis Leca qui donnent les ordres, c’est bien Marie qui, dès le début, mène la barque, au propre comme au figuré. Son apparition, en plein jour, maniant la rame, pourrait évoquer la barque solaire du dieu Râ qui s’apprête à illuminer le monde. Son regard lorsqu’elle dévisage Manda semble vouloir embraser celui-ci : un véritable philtre auquel il ne pourra que succomber, d’autant plus qu’elle prend l’initiative de l’inviter pour l’entraîner dans une danse étourdissante, pour ainsi dire ensorcelante au sens fort du mot, tandis que lui garde encore ses distances, le bras gauche pendant à son côté.

De toute évidence - jeteuse de sort ou femme fatale -, c’est elle qui mène le jeu : elle va le relancer à son travail et l’arracher à sa fiancée, puis l’attire à la campagne en arrivant une nouvelle fois sur un bateau ; pourtant lorsque, chevalier servant dévoué à ses beaux yeux, il se bat et commet un crime, elle se désintéresse de lui et s’esquive, en attendant de prendre à nouveau, comme Yseult qui quitte Marc et part rejoindre son amant blessé, tous les risques en réalisant une action d’éclat pour l’arracher aux mains de la police.

Il semblerait qu’elle puisse, à l’instar de nombre d’héroïnes du cinéma, sublimées par la blondeur de leur chevelure, s’arroger tous les pouvoirs et tous les droits. Dominant les autres personnages, elle brille au firmament de la pègre de Belleville…

Ombres

O Grania à la belle chevelure, bien que tu sois plus belle que l’arbre vert en fleur, ton amour passe aussi vite que le froid nuage au point du jour.
Lady Gregory, Diarmuid et Grania

Entre magouilles et mauvais coups, la petite troupe des arsouilles qui gravitent autour de Marie ne sont guère reluisants, même si, en les regardant danser, les bourgeoises, tout de blanc vêtues, les trouvent "très drôles" (tandis qu’eux les qualifient de "salopes"). Malgré leurs airs de respectabilité, le beau garçon Roland, avec sa veste pied-de-poule, ou le fier Leca, en rayures noires et blanches, semblent vouloir dissimuler le côté ténébreux de leurs personnages derrière un vernis de probité. Les comparses, à leurs côtés, se chargent des basses œuvres, que ce soit le traître Anatole ou, malgré son apparente bonhomie, le fallacieux inspecteur, et bien entendu le bourreau et son macabre cortège. Marie elle-même est loin d’être un ange. Elle appartient à ce monde de voyous, se sent à l’aise en leur compagnie et ne manque pas de répartie avec eux. On se souvient qu’Yseult elle aussi était loin d’être pure et innocente, comme le montre, par exemple, sa demande à deux serfs d’aller au fond des bois tuer sa chère Brangien et de lui rapporter sa langue.

Nous sommes bien dans un film noir avec tous les ingrédients du genre. Casque d‘Or s’ouvre pourtant sur une partie de campagne au bord de l’eau, en pleine lumière. Le film est peut-être en fait plus proche de La Partie de campagne de Renoir (film pour lequel Becker fut 1er assistant) que de Touchez pas au grisbi (qu’il réalisera l’année suivante). Mais les situations et les mœurs restent, en toile de fond de la belle romance, sordides : la "face obscure du soleil", pourrait-on dire. Une triste réalité que semble vouloir illustrer le réalisateur en nous montrant une sinistre cérémonie de mariage, avec un couple de mariés, le regard vide, tristes à en mourir. Il souligne le trait avec l’apparition successive de ces trois vieilles qui servent de guides aux personnages : à l’opposé de Casque d’or, des femmes sur le déclin, vouées à des tâches purement fonctionnelles comme excréter (vider un seau hygiénique dans le caniveau), manger (nourrir ses cochons ou ses invités) et dormir (quitter Marie pour aller se recoucher). Elles peuvent faire penser aux trois sorcières de Macbeth : « Le hideux est beau, le beau est hideux. Volons à travers le brouillard et l’air impur… »

Le cycle solaire

Et pourtant elle tourne…
Galilée

Oui, bien au-dessus de ces turpitudes, elle tourne, Marie, et elle tourne très bien lorsqu’elle valse. Même que tout tourne autour d’elle, à commencer par les hommes qui gravitent à sa périphérie ou qui, tels Roland, Félix et Manda, se brûlent carrément à sa chaleur. Elle seule, Sol invictus, poursuit sa trajectoire et reste libre, même si, à la fin, après avoir brillé de tout son éclat, elle décline et s’éteint. La lumière qu’elle a émise n’en continue pas moins, un certain temps, de rayonner au loin, à la façon de celle de n’importe quelle étoile : le souvenir persistant d’une valse enfuie, la nostalgie du Temps des cerises... Lorsque c’est Roland qui valse avec elle, ou bien avec la bourgeoise venue s’encanailler, il les fait tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, contrairement à la plupart des autres danseurs. Mais quand Marie danse avec Manda, c’est ostensiblement dans le sens solaire, de gauche à droite, qu’elle le fait : un mouvement qui, du moins dans l’hémisphère nord, reproduit le parcours apparent des astres dans le ciel, de l’est vers l’ouest en passant par le sud. Tel est le sens rituel que suivent les fidèles dans nombre de traditions : les hindous autour du sanctuaire, les bouddhistes autour du stupa, les francs-maçons autour de la loge, les troménies autour de la paroisse…, contrairement aux musulmans qui, eux, font le tour de la Kaaba dans le sens anti-horaire.

Si Marie est un personnage solaire, il est inévitable qu’elle conditionne le cours des jours et des saisons. Il semblerait que, tel Gauvain, le meilleur des chevaliers de la Table Ronde, sa force croisse de l’aurore à midi, et décroisse de midi au soir : de sa radieuse apparition au début du film à la séquence campagnarde, et de celle-ci à la sombre fin. On passe de la légèreté printanière d’une sortie dominicale à la pleine luminosité estivale puis à la noirceur d’une nuit d’automne, en attendant la promesse incertaine d’un nouveau printemps, en même temps que le film évolue, au rythme des jours, de la comédie romantique à la tragédie :
- L’arrivée des barques, au cœur d’un paysage idyllique, paradisiaque, avec l’envolée de « cette éclatante charretée de femmes qui fuyait sous le soleil » (Maupassant, Ophüls, La Maison Tellier), semble inaugurer un jour nouveau, à l’aube du monde. Le temps est resplendissant, riche de promesses, même si quelques nuages se profilent à l’horizon. L’orage menace avec la gifle et les menaces de Roland, mais Marie préserve son sourire et sa détermination.
- Fondu au noir, et un nouveau matin avec la vieille qui vide son seau : un jour beaucoup moins radieux. Marie s’est éclipsée ; on la cherche partout, le monde se désole et menace de dépérir, comme lorsque Déméter avait abandonné la terre pour aller chercher aux Enfers sa fille… Le ciel est gris, pesant. Il y a bien une brusque et rapide éclaircie lorsque Marie va retrouver Manda et l’embrasse. L’orage va éclater à l’Ange Gabriel après un autre fondu au noir. Il fait nuit. Le drame est à son comble. Marie se cache, puis se retire.
- Le soleil brille gaiement sur le battant de la porte pour accompagner le départ de Manda qui, telle la lune courant après le soleil, se dirige vers la lumière jusqu’à se retrouver couché sur l’herbe, en plein midi. C’est Marie, toute ensoleillée, qui l’arrache au sommeil, ou plutôt qui l’entraîne dans un doux rêve dont il se réveille pour une nouvelle journée qui s’annonce rayonnante lorsque Marie ouvre grand les volets. Mais un gros nuage vient tout assombrir avec la rencontre de Leca et l’annonce de la mort de Raymond.
- Le coq chante, le soleil brille pour un nouveau matin. Mais le temps devient de plus en plus lourd, avec juste une éclaircie à travers les nuages lorsque Marie force le barrage des policiers et embrasse précipitamment Manda. La nuit tombe irrémédiablement. Une seule bougie reste allumée pour éclairer une veillée mortuaire.
- Et, tandis que le jour pointe sur la cour de la prison, Marie s’enfonce dans une nuit profonde.
- D’un grondement lugubre éclot la musique du souvenir. Un rêve passe...

Énergie solaire

Le soleil

Ô Soleil ! toi sans qui les choses Ne seraient que ce qu’elles sont !
Edmond Rostand, Chanteclerc

S’il ne représente qu’une quantité négligeable en bordure de notre galaxie, et s’il est encore plus insignifiant dans le vaste univers, le soleil tient une place essentielle pour nous, pauvres humains. La vie sur terre dépend de lui, autant que de l’eau. C’est une évidence. Déjà, notre planète lui doit son origine : c’est en agglutinant des poussières qui gravitaient autour de lui qu’elle s’est formée. Il est à l’origine de toute forme de vie, et les plantes ont besoin de sa lumière et de sa chaleur pour se développer. Il règne en maître absolu dans le ciel, au-dessus de nos têtes. Il préside aux climats, rythme nos jours et nos nuits et, incidemment, entretient notre bonne humeur. Comment ne pas le célébrer ?

Mais ce dieu bénéfique peut également se montrer terrible. Il dessèche la végétation et est capable de tout brûler. Il est vital pour notre santé, mais dangereux si l’on en abuse. Il nous fait don de la vitamine D, mais est la cause principale du vieillissement prématuré de la peau et des cancers cutanés. Le soleil est fondamentalement ambivalent. S’il était vital pour les Aztèques, c’était au prix de bien de vies humaines qu’il accordait ses bienfaits : le dieu soleil réclamait du sang humain pour survivre et pour que le monde puisse ainsi continuer d’exister.

La pensée mythologique ne pouvait pas ignorer sa puissance. Que ce soit en tant que tel ou bien symboliquement, toutes les religions parlent de lui. Les mythologues s’y sont particulièrement intéressés, et le thème du mythe solaire est devenu à ce point populaire au XIXème siècle que l’on en est arrivé, notamment avec l’orientaliste Max Müller, à reconnaître dans n'importe quel personnage légendaire une représentation du soleil.

Le Dieu-Soleil

Ton lever glorieux illumine l'existence des hommes :
Tous se retournent vers Ton éclat merveilleux !
Tel un immense flamboiement, Tu illumines le Monde ...
Lorsque Tu apparais, Shamash, les peuples se prosternent ;
Tous les gens, de partout, s'inclinent devant Toi !

Grand Hymne à Shamash, traduction de J. Bottéro

Shamash était le dieu soleil en Mésopotamie. Il doit à sa lumière qui illumine la Terre d’être devenu le garant de la justice. Tous les matins, les hommes-scorpions lui ouvrent la porte de sa caverne, par-delà les monts de l'Est, et il s’élève lentement dans les airs en une gerbe de lumière éblouissante, avant de se diriger vers les monts de l'Ouest. Là, les gardiens lui ouvrent à nouveau la porte et il disparaît dans les entrailles de la Terre.

Le char solaire de Trundholm (Copenhague)
L’image d’un soleil divinisé parcourant l’espace céleste s’est imposé dans bien des traditions. C’est sur une barque qu’en Égypte Râ traverse le ciel avant de parcourir le monde souterrain sur une autre barque. On croyait en Chine qu’il y avait à l’origine dix soleils à qui leur mère confiait à tour de rôle son chariot céleste. Mais ils décidèrent un jour de traverser le ciel ensemble, embrasant ainsi la planète. Le dieu du soleil dut engager un archer pour en venir à bout. Neuf d’entre eux furent tués, un seul survécut parce qu’un enfant avait volé la dernière flèche. En Grèce c’est Hélios qui mène le char du Soleil en révélant tout ce qui se passe sur Terre. Jusqu’à ce que son fils, Phaéton, s’empare des rênes, et les chevaux s’emballant, s’approche dangereusement du sol et menace la planète d’une catastrophe climatique.

Les poètes grecs ont de leur côté choisi Apollon pour incarner le soleil. Bélénos (racine indo-européenne bhel, "brillant", "brûlant", "resplendissant") était pour les Gaulois l'archétype du dieu-soleil. C’est Surya, sur son char tiré par sept chevaux, qui est le Soleil en Inde. Pour les Aztèques, Huitzilopochtli, dieu du Soleil et de la guerre, était le maitre du monde. Pour les Incas, c’était Inti, et Pachacamac pour les Péruviens… N’oublions pas non plus que Noël célèbre le "jour de naissance du Soleil" (dies natalis solis invicti), fête héritée du culte de Mithra que l’empereur Aurélien avait instituée au solstice d’hiver et qui, depuis le IVème siècle, célèbre l’avènement de Jésus, le Nouveau Soleil.

La Déesse-Soleil

Contrairement à ce que veulent nous faire croire la langue française et la conception d’un astre supérieur, voire tyrannique, on peut se demander si le soleil doit obligatoirement être masculin. Il faut sans doute là aussi en appeler à la théorie du genre… On rappelle que, dans les langues celtiques et en allemand, le soleil est féminin. Sol est bien le dieu romain du soleil, mais le même nom désigne en Scandinavie une déesse : Mundilfari avait deux enfants tellement beaux qu'il nomma son fils Máni (Lune) et sa fille Sól (Soleil). Irrités de cette prétention, les dieux expédièrent le frère et la sœur dans le ciel. Wurusemu, une déesse-soleil, était la principale divinité du panthéon hittite. Chez les Inuits, le dieu-lune Anningan poursuit continuellement à travers le ciel sa sœur Malina, la déesse du soleil. Il en oublie de manger et s’amaigrit peu à peu. Il représente ainsi les phases de la lune. Pour satisfaire sa faim, il disparaît pendant trois jours chaque mois (nouvelle lune), puis repart aux trousses de sa sœur. C’est ainsi que l’on retrouve des déesses Soleil dans de nombreuses traditions, chez les peuples turco-mongols d’Asie centrale, au Tibet, en Sibérie, ou chez certains Amérindiens du nord et du sud… Le mythe représente le plus souvent un conflit qui l’oppose à son frère Lune.

Shunsai Toshimasa, Amaterasu sortant de la caverne
La plus prestigieuse de ces déesses Soleil est sans doute Amaterasu, la déesse suprême des Japonais, qui était la sœur de Tsukuyomi, la Lune. « Mère bienveillante, mais aussi Mère terrible », pour reprendre les mots de Pierre Lévêque, elle s’est particulièrement illustrée par un épisode qui souligne sa contribution à la vie de la Terre. Son autre frère, Susanoo, en conflit avec elle, entre dans une fureur terrible. Il saccage les rizières d’Amaterasu et déverse ses excréments dans son palais. La déesse lui trouve d’abord des excuses, mais elle finit par aller s’enfermer dans une caverne céleste, cachant ainsi le soleil et plongeant le monde dans l’obscurité. Les dieux organisent alors un banquet au cours duquel la déesse de l'Aube entame une danse impudique qui déclenche l’hilarité générale. Intriguée, elle pousse légèrement le roc bloquant l'entrée de la caverne et est éblouie par un grand miroir dans lequel elle se voit pour la première fois. On la tire à l’extérieur, et l’ordre du monde est ainsi restauré.

Le Roi-Soleil

Au roi, le Soleil, mon seigneur…
Abdi-Ashirta, lettre adressée au pharaon Amenhotep III

Les rois, non plus que le soleil, n'ont pas reçu en vain l'éclat qui les environne.
Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse d'Autriche

Il était fatal que cet astre tout-puissant, qu’on ne peut regarder en face, en soit venu à symboliser le pouvoir : c’est en se plaçant sous le signe du soleil que le souverain se magnifie ; il approche ainsi de la divinité. On adorait en Egypte, à Héliopolis, la "ville du Soleil", une triade de divinités : Khépri, le Soleil naissant, Rê, le Soleil à son zénith, et Atoum, le Soleil couchant. Akhénaton bouscule les traditions et impose le Disque solaire comme dieu universel sous le nom d’Aton, instituant ainsi une forme de monothéisme éphémère. Lui-même incarne l'image terrestre du Dieu. Mais, dès Thoutmosis III, son arrière-grand-père, le pharaon s'assimilait déjà, sous le titre de "mon soleil", à l’Amon-Râ égyptien et au Shamash babylonien.

Les empereurs incas sont des Intip churin, des "fils d’Inti, le dieu-soleil", et sont à ce titre vénérés comme des demi-dieux. Ils règnent sans partage, et même les dignitaires ne peuvent les approcher que pieds nus et chargés en signe de soumission d’un fardeau sur la tête. Quant à l’empereur du Japon, il descend directement de la déesse solaire Amaterasu, l'ancêtre de la dynastie impériale, bien qu’en 1946, sous l'occupation du pays par les forces américaines, Hirohito ait dû renoncer officiellement à sa nature de "divinité incarnée".

J. Werner, Louis XIV sur le char d'Apollon (Versailles)
C’est bien sûr pour nous Louis XIV qui est le Roi-Soleil par excellence. Il n’a pas été jusqu’à se prétendre divin, bien que le cérémonial des usages de la cour fasse penser à un véritable culte rendu à sa propre personne. Il est celui qui chasse les ténèbres et fait rayonner son prestige et sa prestance sur la Terre. Il se met en scène dans un ballet, travesti en Soleil, et se fait peindre en Apollon, le dieu grec représenté en majesté. Tel l’astre solaire entouré des autres planètes, il organise toute la vie de la cour autour de lui et impose un emploi du temps aussi précisément réglé que celui de la mécanique céleste.

Il semblerait qu’il existe également une Reine soleil dont Philippe Leclerc nous rapporte l’histoire dans son film d’animation…

Livres

. Éric DUFOUR, Laurent JULLIER, Analyse d’une œuvre : Casque d’Or, Librairie Philosophique J. Vrin, 2009
. Collectif, Casque d’Or : lectures croisées, L’Harmattan, 2010
. Le Roman de Tristan et Iseut, renouvelé par Joseph BÉDIER, L’Édition d’art H. Piazza, 1946
. Alain LÉVÊQUE, Colère, sexe, rire - le Japon des mythes anciens, Les Belles Lettres, 1988  

FILMS

. Philippe LECLERC, Les Enfants de la pluie, 2002
. King VIDOR, Duel au soleil, 1949
. Roberto ROSSELLINI, La Prise du pouvoir par Louis XIV, 1966

Programme 2018-19

CASQUE D'OR

France- 1952 - 96 minutes -noir et blanc

Réalisation : Jacques Becker
Scénario : Jacques Becker, Jacques Companeez
Image : Robert Lefebvre
Musique : Georges Van Parys 
Interprètes : Simone Signoret (Marie), Serge Reggiani (Georges Manda), Claude Dauphin (Félix Leca), Raymond Bussières (Raymond), William Sabatier (Roland), Gaston Modot (Danard)

SUJET
Marie, surnommée Casque d'Or pour son éclatante chevelure blonde, fait partie d'une bande de truands qui font la loi à Belleville. Elle fait la connaissance, dans une guinguette à Joinville, de Manda, un voyou repenti devenu charpentier. Par défi pour son souteneur, Roland, elle l'invite à danser. C'est le coup de foudre. Les deux hommes en viennent aux mains. Manda tue Roland et va se cacher à la campagne avec Marie. Mais Leca, le chef de la bande, qui lui aussi convoite Marie, s'arrange pour faire inculper Raymond, l'ami de Manda. Celui-ci se voit contraint de se dénoncer…