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les eaux indomptées sont des repaires de dragons

19 juin 2006
17h00 : Conférence

Le Fleuve Sauvage"Saints, dragons et zones inondables dans les vallées angevines". par Raymond Delavigne
Auditorium du Musée des Beaux-Arts, 14 rue du Musée, Angers
Conférence gratuite

20h30 : Film

Le Fleuve Sauvage (109 mn), avec présentation et débat
Cinéma 400 coups, 12, rue Claveau, Angers, tél. : 02 41 88 70 95
Tarifs habituels aux 400 coups : 7 €, réduit 5,80 €, carnets 4,90 € ou 4,30 €

30 juin 2006 - LES EAUX INDOMPTEES SONT DES REPAIRES DE DRAGONS
20h30 : Randonnée

Randonnée contée Dragons et êtres fantastiques par les Conteurs de la Jabotée.
Etang St-Nicolas (Rendez-vous Centre Jacques Tati, 5 rur Eugénie Mansion, Angers)
Tarifs adultes, 1€ - enfants (-12 ans) accompagnés, gratuit.

Le blanc chevalier se présenta sur les bords du fleuve et dut affronter un terrible dragon qui retenait captive une pure jeune fille ...

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Appréciation

Textes de Philippe Parrain

Le Fleuve SauvageLe Fleuve Sauvage, c'est avant tout une chronique sociale qui nous parle des Etats-Unis des années 30, de la crise économique, du conflit entre exigences du progrès et poids de la tradition, de la relation entre le Nord et le Sud, et du racisme.

C'est aussi une très belle histoire d'amour, et le portrait sensible de personnages opposés auxquels le réalisateur accorde une égale sympathie en refusant de prendre parti.

C'est un film qui donne la part belle à la nature, "sauvage" et envoûtante, attachée à sa liberté. Comme le dit Ella : "Des barrages il n'y en a que trop, ils disciplinent la nature, compriment ses élans. Je suis contre les barrages de toutes sortes".

Mais, signe de la richesse de cette œuvre aux multiples entrées, on peut encore en proposer une lecture "mythologique", qui rattache ce récit à un archétype qui a traversé les siècles.

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Thèmes mytho-légendaires

Le fleuve, avec ses débordements, est d'emblée présenté comme un monstre dévastateur, une force supérieure et aveugle que nul ne saurait soumettre.

Le Fleuve SauvageLe dragon, incarné par Ella, vit retranché dans son île, au milieu du fleuve. Il impose sa loi à la population soumise, tout en lui garantissant ses moyens de subsistance. Ella (faut-il rapprocher son prénom de celui du réalisateur : Elia ?) tient son pouvoir d'une tombe qu'elle hante, comme c'est le cas de certains dragons, et qui en retour la hante. Et c'est elle le génie du lieu ("Garthville", du nom de son père), comme la Tarasque est celui de Tarascon.

Le nom de "Garth", lui-même, n'est pas sans évoquer phonétiquement Gargantua, ou cet autre géant le gawr celtique, et surtout quelques dragons bien connus, comme la Gargouille de Rouen ou le Graouli de Metz.

Le Fleuve SauvageLe blanc chevalier vient d'ailleurs, pétri d'idéalisme. Il descend du ciel et découvre un pays sauvage et fascinant, qu'il entre-prend de "civiliser" : une terre ancrée dans ses traditions et préjugés, une terre de paganisme aurait-on dit au temps où les saints évangélisateurs affrontaient encore les dragons. Il est le "juste", mais il s'en tient à son rôle de combattant, incapable de s'impliquer dans sa relation avec le pays et la jeune femme.

Ella retient captive sa belle-fille que le héros doit avant tout délivrer, avant même de songer à l'épouser.

Le film montre une osmose entre héros et dragon, une sympathie qui se développe dans le combat lui-même tout en introduisant un doute sur la justesse de la cause.

Le Fleuve SauvageLe dragon, vaincu, crache le feu (l'incendie de la maison) avant de se voir cloué au sol.

L'île, et avec elle les forces rétrogrades, se trouve finalement engloutie sous les eaux d'un fleuve dont la dernière image du film montre les sinuosités de serpent.

On ne peut éviter de voir aussi dans ce film une référence biblique à la terre promise et au Déluge.

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dragons et sauroctones

Le dragon souleva sa tête au-dessus de l’étang. La jeune fille, toute tremblante, s’écria : "Fuis, cher Seigneur, fuis au plus vite ! Mais Georges assaillit bravement le dragon qui s’avançait vers lui ..."

dragonSe nichant dans les zones inhabitées, non humanisées, au creux des fleuves, des rivières ou de la mer, dans les grottes, au fond des forêts obscures, ou encore sur les sommets montagneux, les dragons représentent les forces hostiles de la nature, qui demandent à être maîtrisées. Ils incarnent les "temps d'avant", avant que la civilisation - quelle qu'elle soit - n'établisse son règne. Apollon, Persée, Hercule, Krishna, Tristan et bien des preux chevaliers eurent à affronter de telles créatures. Satan et les vestiges du paganisme en sont la manifestation dans un contexte chrétien, et c'est tout naturellement qu'à leur tour les saints ont reçu mission de les éliminer.

Ce sont ces héros et ces saints, à la tête desquels on trouve st Michel, que l'on désigne sous le nom de "sauroctones", "tueurs de sauriens, de serpents".

dragonPour C.G. Jung, le dragon incarne le "monde matriarcal originel qui a été vaincu par le monde paternel". Cette figure ne serait-elle pas profondément inscrite dans l'inconscient collectif (les stades préliminaires de la psyché humaine, le cerveau reptilien …) qui la réactiverait sous cette forme fabuleuse ?

Mais cette mémoire originelle a pu aussi assimiler les dragons aux antiques dinosaures. Même si la vue de certains ossements fossiles ont pu nourrir ce fantasme, il est certain que l'homme n'a jamais été en mesure d'affronter ces animaux. Le symbole par contre continue de nourrir l'imagination, que ce soit en tant que grand serpent de mer ou que monstre du Loch-Ness, ce lac écossais où saint Colomban aurait déjà, en 565, tenu tête à un dragon.

Le Fleuve SauvageLe dragon se définit en tant qu'être composite, réunissant dans un même corps les caractéristiques de diverses espèces, et constituant par là-même un défi à la pensée rationnelle. Il est foncièrement ambigu : gardien de trésors et menace pour les populations, vivant dans l'eau et crachant le feu, rampant et volant, bénéfique et maléfique ...

Il reste, tout particulièrement chez nous, associé aux zones inondables. C'est lui qui provoque les crues autant qu'il en est l'émanation. Et c'est à la fin de la période hivernale, lorsque les eaux se retirent après avoir fertilisé le sol, que la tradition le célèbre.

Le dragon, selon Michel Pastoureau
Un être hideux et redoutable, le plus grand de tous les serpents dont il possède le poison, la queue et le corps visqueux. Mais son aspect est bien plus effrayant. Il possède sur le dos une crête et des écailles, parfois des ailes qui lui permettent de voler. Ses pattes énormes sont terminées par d'immenses griffes avec lesquelles il déchire ses proies. Sa bouche et ses oreilles crachent du feu, sa langue et sa queue sont fourchues, son corps n'est pas seulement visqueux, mais aussi pustuleux et sent terriblement mauvais. Son regard fixe est terrifiant, et parfois le dragon n'est pas doté d'une seule tête mais de plusieurs. C'est un ogre qui tout à la fois bave, crache, vomit, engloutit, écrase, déchire et dévore. Maître des eaux, que ses colères font déborder, gardien des montagnes et des trésors, il est à la fois violent et rusé, imprévisible et pratiquement invincible : il court plus vite qu'aucun autre animal, rampe sur le sol, se cache dans les rochers, vole dans les airs, nage sous les eaux, participant ainsi aux trois mondes, terrestre, céleste et souterrain."
(in Les Animaux célèbres)

dragonCar il n'est pas partout perçu comme une incarnation du mal. En Chine notamment il représente le bonheur, gage d'immortalité. Il semble évident qu'il fut un temps où dans les pays celtiques notamment il personnifiait la puissance et la souveraineté (c'était l'emblème du roi Arthur, et c'est encore aujourd'hui celui du Pays de Galles), tout en étant pourvoyeur de fertilité et de fécondité autant que de terreur. Ces deux aspects justifiaient également le culte qu'on lui rendait. Et l'on peut se demander avec L. Dumont, si le sauroctone est bien l'opposé du dragon ; il cite Hubert et Mauss : "Les adversaires mis en présence par le thème du combat sont le produit du dédoublement d'un même génie".

Les Rogations, à la veille de l'Ascension, au mois de mai, plaçaient les champs sous la protection divine et se conciliaient ainsi les pouvoirs secrets de la nature. Mais ce sont surtout les villes, et parmi elles Angers, qui revendiquaient un dragon fondateur : elles le célébraient sous la forme d'une figure articulée que l'on promenait dans les rues. Et si le scénario insistait sur la défaite du monstre, tout en s'en amusant, il était coutumier, surtout pour les femmes, de s'exposer aux violents coups de fouet de sa queue, d'où il tire sa puissance et qui est source de prospérité. Cette fête subsiste encore à Tarascon le dernier week-end de juin.

dragonLa Tarasque et sainte Marthe
Il y avait à ce moment sur les bords du Rhône, dans une forêt sise entre Avignon et Arles, un dragon, mi-animal, mi-poisson, plus épais qu'un bœuf, plus long qu'un cheval, avec des dents aiguës comme des cornes, et de grandes ailes aux deux côtés du corps ; et ce monstre tuait tous les passants et submergeait les bateaux (…). Or sainte Marthe, sur la prière du peuple alla vers le dragon. L'ayant trouvé dans sa forêt, occupé à manger un homme, elle lui jeta de l'eau bénite, et lui montra une croix. À l'instant le monstre, vaincu, se rangea comme un agneau près de la sainte, qui lui passa sa ceinture autour du cou..
La Légende dorée

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l'ours en Anjou et dans la région

Sans parler de tous les saints qui ont, un peu partout, tenu tête à de terribles serpents (tel st Marcel à Paris), les noms  de quelques-uns des plus célèbres dragons de France restent indissociablement liés à la mémoire de certaines villes :

  • la Tarasque à Tarascon, amadouée par ste Marthe
  • la Gargouille à Rouen, arraisonnée par st Romain
  • la Grand'Goule, ou Bonne Sainte Veurmine, à Poitiers, vaincue par st Hilaire ou ste Radegonde, selon les légendes
  • le Graouli à Metz, dominé par st Clément
  • dragon
  • la Chair Salée, ou Coquatrix, à Troyes, terrassée par st Loup
  • le Dragon et la Lézarde à Provins, vaincus par st Quiriace
  • la Coulobre de la Fontaine de Vaucluse, abattue par st Véran
  • le Grand Bailla à Reims, le Drac sur le Rhône, dans le Gers et dans l'Aude, la Mâchecroute à Lyon, le Dragon Doré, à Douai, la Velue à La Ferté-Bernard, la Lycastre à Porquerolles, la Bête Rô à Aytre …
  • ainsi que les basilics dans la Vienne ou en Charente, ou les vouivres en Franche-Comté, qui leur sont apparentés
  • et Mélusine, la "serpente" poitevine, qui se métamorphose en dragon volant ...

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les dragons en anjou

Les dragons ont, en leur temps, hanté notre département, comme bien d'autres régions. Les témoignages ne manquent pas :

dragonSaint Florent a éradiqué les serpents qui pullulaient sur le Mont-Glonne (St-Florent-le-Vieil) et a maîtrisé un dragon qui sévissait à Saumur près du site des Ardilliers

Près de St-Florent-le-Vieil, au Trou du Serpent ou à la Cave au Minou, saint Mauron a vaincu un terrible dragon qui terrorisait la vallée

Ne faut-il pas deviner par ailleurs des dragons derrière certains géants – Gargantua, Béhu à Béhuard ou, à Pruniers, Maury - qui menaçaient d'avaler mariniers, bateaux et cargaisons sur la Loire ou la Maine ?

dragonNombre de paroisses et de chapelles, souvent en zone inondable, sont placées sous le patronage de saints sauroctones : Georges et Michel, Florent, Hilaire, Marcel, Samson, Armel, Serge, Martin de Vertou, Romain, Marguerite, Victor, Germain, Julien …

Autrefois une "guivre" était processionnée par l'abbaye St-Serge d'Angers pour la Saint-Marc et les Rogations.

Un dragon à sept têtes figure au cœur de la tapisserie de l'Apocalypse.

C'est le roi René d'Anjou qui institua, en 1474 à Tarascon, la Fête de la Tarasque.

Un monstre aurait été vu dans l'étang St-Nicolas, à Angers, en 1934, alors que tout le monde parlait du monstre du Loch-Ness.

Un petit jeu enfin : repérer tous les dragons et gargouilles qui se nichent au creux de nos églises et chapelles.

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Les intervenants

Raymond Delavigne, mythologue, membre de la Société de Mythologie Française, ingénieur agronome, chercheur sur les Basses Vallées Angevines, il mettra en évidence la présence du dragon dans nos vallées.

Et en complément, les conteurs de la Jabotée
Ce groupe de conteurs angevins propose de les accompagner en une randonnée contée autour du lac Saint-Nicolas, en quête du dragon qui y fut observé en 1934...

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bibliographie

R. DELAVIGNE, Zone inondable, saints, géants et dragons au nord-est d'Angers, Mythologie Française n° 137, avril-juin 1985

P. ABSALON et F. CANARD, Les Dragons, des monstres au pays des hommes, Gallimard, 2006

Edouard BRASEY, Géants et dragons, Pygmalion, 2000 …

V. WHARTON, Dragons et bêtes fabuleuses, Paris, Chêne, 1995

Claude LECOUTEUX, Les Monstres dans la littérature allemande du Moyen Age (1150-1350), Gëpingen, 1982.

M.-F. GUEUSQUIN, Le Mois des dragons, Paris, Berger-Levrault, 1981

L. DUMONT, La Tarasque, Paris, Gallimard, 1951

Claire ARLAUX, Le Dragon en Bretagne, Gourin, Keltia Graphic Editions, 2000.

J. LE GOFF, Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age : Saint Marcel et le dragon de Paris, Pour un autre Moyen Age, Paris, Gallimard, 1997.

M. PAGE et R. INGPEN, Encyclopédie des monstres qui n'existent pas, Turin, Gallimard, 1987.

J. BALTRUSAITIS, Le Moyen Age fantastique, antiquités et exotismes dans l'art gothique, Paris, Flammarion, 1993.

P. DARCHEVILLE, Du dragon à la licorne, symbolique des animaux fabuleux, Clamecy, Guy Trédaniel, 1994

J. MARKALE, Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du dragon, Paris, Pygmalion, 1987

Et quelques films qui parlent du dragon :

Le Dragon du lac de feu, de Matthew Robbins (1981)
L'étrange Créature du lac noir, de Jack Arnold (1954)
Incident au Loch Ness, de Werner Herzog (2004)
Loch Ness, de John Henderson
Jurassic Park, de Steven Spielberg (1993)
Godzilla, de Roland Emmerich (1998)
Dragons, et s'ils avaient vraiment existé..., de Justin Hardy
Le Musée des dragons, de Vincent Amouroux

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Programme 2006

le fleuve sauvage

Etats-Unis, 1960, 105 minutes, couleurs, scope. " Wild River" (v.o.)

Réalisation : Elia Kazan
Scénario : Elia Kazan, Paul Osborn
Interprètes : Montgomery Clift (Chuck Glover), Jo Van Fleet (Ella Garth), Lee Remick (Carol)

AFFICHELe Fleuve Sauvage

SUJET
Chuck est envoyé dans le sud des Etats-Unis pour le compte de la Tennessee Valley Authority, organisme d'Etat chargé de la fabrication de barrages le long du fleuve, dans le but d'endiguer ses crues dévastatrices. Chuck a pour mission d'obtenir des habitants qu'ils acceptent de quitter les zones destinées à être inondées par les travaux. A son arrivée, il ne reste qu'une île dont les habitants refusent l'expropriation. Véritable maîtresse des lieux, Ella Garth, par son obstination forcenée à ne pas quitter ses terres fertilisées par le fleuve, tient tête à Chuck. Mais sa petite fille Carol, qu'elle tient sous sa coupe, n'est pas insensible à l'héroïque combat livré par ce bel étranger aux intentions pures.